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Citizen Kane USA VO N&B 1940 119' ; R. O. Welles ; Sc. Herman Mankiewics, O. Welles ; Ph. Gregg Toland ; Déc. Van Nest Polglase ; Mont. Robert Wise ; M. Bernard Herrmann ; Pr. Mercury ; Int. O. Welles (Charles Foster Kane), Joseph Cotten (Leland), Everett Sloane (Bernstein), George Coulouris (Thatcher), Ray Collins (Gettys), William Alland (le journaliste), Dorothy Comingore (Susan Kane), Agnes Moorehead (Mary Kane), Ruth Warrick (Emily kane), Paul Stewart (le majordome), Fortunio Bonanova (le maître de chant).
Le milliardaire Kane expirant laisse échapper de sa main une boule de verre contenant un paysage de neige en prononçant le mot "Rosebud". C'est sur l'effort des journalistes en vue d'élucider le dernier mot du défunt que se bâtit le film. La vie de Kane est donc reconstituée au gré des étapes de l'enquête. 1) Les actualités filmées (9'). 2) Une visite à Suzanne la seconde épouse, qui, ivre, ne dit rien (5'). 3) La lecture du journal de Thatcher le tuteur (11'). 4) L'entretien avec Bernstein, le second de Kane (5' 30). 5) L'entretien avec l'ami de collège et collaborateur, Leland (33'). 6) Une seconde visite à Suzy, qui consent à parler. (11'). Enfin le témoignage de Raymond, le majordome (5').
Futur héritier d'une mine d'or qui le porte à la tête d'une des grosses fortunes mondiales, Kane est placé, enfant, sous la tutelle de l'homme d'affaires Thatcher, pour recevoir loin de ses parents une éducation appropriée. Passionné de journalisme, il devient un grand patron de presse, épouse la nièce du président des États-Unis, échoue en politique à cause d'un adultère, divorce, épouse sa maîtresse dont il voudrait faire une cantatrice célèbre et à qui il bâtit, outre un château, un opéra. Elle le quitte ; il meurt solitaire. Le mystère Rosebud reste entier, mais alors qu'on fait brûler des tonnes d'objets sans valeur amassés comme souvenirs au château, la marque commerciale "Rosebud" apparaît à l'intention du spectateur sur une luge en train de se consumer. Le film se termine sur l'inscription "no trespassing" (défense d'entrer) entrevue au début à l'entrée du domaine de Xanadu.
Dans un monde où dominent les affaires, les sentiments passent au second plan. La luge et le paysage de neige renvoient donc à la scène hivernale où la mère signe les actes consacrant la séparation, pendant que sur sa luge, le fils glisse devant la maison familiale. Valeur affective confirmée au départ de Suzy quand, anéanti de chagrin, il s'empare de la boule de verre en murmurant "Rosebud".
La réputation de chef-d'œuvre, voire de meilleur film de tous les temps, tient davantage semble-t-il de la légende - grâce entre autres à la stature de Welles, "l'homme orchestre" - que de l'exception cinématographique. Cela fait une éternité que j'entends crier merveille, et même par des voix prestigieuses (Deleuze), sans pouvoir, avec la meilleure volonté du monde, faire chorus. On ne peut certes que reconnaître, servie par une photo (trop) parfaite, l'esthétique du grandiose, par des jeux d'angle combinés à la profondeur de champ, au décor, à l'éclairage. Effets excessifs cependant et confinant au formalisme par leur systématicité.
Le mouvement de grue accompagné de tonnerre pour pénétrer dans le cabaret de Suzy en passant par l'enseigne lumineuse avant de plonger à travers la verrière n'est, à la rigueur, acceptable que parce qu'il est repris à la fin sans tonnerre ni néon pour marquer l'évolution psychologique. Mais il faut aussi supporter des figures superlatives de mystère avec fumée traversée d'un faisceau lumineux, visages dans l'ombre, silhouettes gesticulant, musique auxiliaire ad hoc. Ou l'usage presque systématique de la plongée, de la contre-plongée exposant les plafonds, et de la profondeur de champ dans la prise de vue des personnages. Même les très habiles fondus enchaînés et surimpressions paraissent superflus. Bref, la mise en scène est grandiloquente.
Certains acteurs n'arrangent rien. Le père de Charles (Harry Shannon) semble tout droit sorti d'un western de série B. Le directeur de l'Inquirer est la mauvaise caricature du vieux routier qui doit s'incliner devant les méthodes modernes. Au banquet, à chaque fois que le discours de Kane est salué par le rire franc et massif de la communauté virile (cliché sonore de l'époque), l'un des collaborateurs se plie et replie en quatre pour inviter le spectateur à se joindre à l'hilarité générale. Les maquillages passent mal. Kane dont le visage est figé sous une pellicule transparente (plissant derrière les oreilles) préfigure le Fantomas des années cinquante. Dialogue envahissant, laissant une pénible impression de bavardage incessant, l'image y étant, en outre, surinformative la plupart du temps. Le journaliste raconte : "bientôt ils ne se virent plus qu'au petit déjeuner". Suit une série de scènes montrant la dégradation de rapports au petit déjeuner au cours du temps marqué par le vieillissement et les changements de mode, chacun plongé dans son journal à la dernière. C'est loin d'être le seul cliché. Citons la fenêtre gothique éclairée s'éteignant avec une scansion brusque de l'orchestre avant l'arrêt total du cœur de Kane ; les murs délabrés en grossier trompe-l'œil au cabaret ; le pauvre vieux Thatcher sur son lit d'hôpital, réclamant au journaliste un cigare dans le dos du médecin, etc. Sans compter les clichés internes résultant de la technicité gratuite déjà pointée.
On s'est beaucoup extasié sur l'économie de la profondeur de champ dans la scène du suicide manqué : petite cuiller dans un verre et bouteille de médicaments vide au premier plan, Suzy sans connaissance au second, Welles enfonçant de l'extérieur la porte à l'arrière plan en profondeur de champ. Welles condense en un plan ce qui en exigerait au moins trois. Non seulement la profondeur de champ était loin d'être une nouveauté, mais son utilisation comme étagements de plans dans un même espace ne l'était pas non plus : voyez dans Naissance d'une nation (1915) la scène de départ des frères d'Elsie dans le jardin.
Pour ne rien arranger, la bande-son s'avère des plus conventionnelles. Réverbération d'outre-tombe des voix s'alliant à des résonances de fermeture de caveau (il ne semble pas que le son hyperbolique soit pertinent au cinéma). Utilisation du triangle et autres instrumentations tintinabulantes pour sonoriser l'éclatement de la boule de neige. Loin d'annoncer l'épopée herrmanno-hitchkokienne, la musique de Bernard Herrmann use de toute la panoplie hollywoodienne de l'illustration musicale, que ce soient les violons soulignant le mot "Rosebud" où la polka des scènes burlesques, qui sont du reste fort lourdes, etc.
Enfin la visée éthique(1) reste bien futile et pourrait se résumer par : "L'argent ne fait pas le bonheur". Ou encore : "on ne peut rien vraiment savoir de la conscience d'un homme." Ce n'est pas que le film ne soit pas intéressant, mais il l'est surtout en tant qu'il est bourré de trouvailles techniques. Un certain raccord analogique entre la vieille luge se recouvrant peu à peu de neige et le papier blanc qui emballait jadis la neuve, que reçoit Charles dans un décor de Noël au milieu de lugubres hommes d'affaires en contre-plongée, témoigne d'un certain sens artistique, ainsi que quelques très belles ellipses (Thatcher s'adresse au petit Charles qui est rejeté hors champ, puis quand il reprend la parole, c'est au Kane de vingt-cinq ans qu'il s'adresse) et autres éléments de savoir-faire.
Mais la boursouflure, le cliché et la lourdeur de la bande-son ne pardonnent pas, l'artiste fût-il universellement admiré (en l'occurrence pour son formalisme esthétique et pour des raisons extrinsèques). 6/07/01 Retour titres