CINÉMATOGRAPHE 

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Leontine SAGAN
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Jeunes filles en uniforme (Madchen in Uniform) All. VO 1931 83' ;  Supervision Carl Froelich ; Sc. F.D. Adam, Christa Winsloe d'ap. sa pièce Gestern und Heute ;  Ph. Reimar Kuntze, Franz Weihmayr ; M. Hansom Milde-Meissner ; Pr. Deutsche Film - Gemeischaft GmbH (Berlin) ; Int. Dorothea Wieck (Melle von Bernburg), Hertha Thiele (Manuela von Meinhardis), Emilia Unda (la directrice), Hedwig Schlichter (Melle von Kesten), Ellen Schwanneke (Ilse von Westhagen).

    
Sous la république de Weimar, Manuela von Meinhardis, fille d'officier orpheline de mèreest à quatorze ans mise en pension à Potzdam dans un établissement pour jeunes filles de la noblesse désargentée. Dans cette vie monacale à la discipline toute prussienne qu'en haine de la démocratie prône la directrice appuyée sur la canne de Frédéric le Grand, seule lueur d'humanité : la professeure Elisabeth von Bernburg, aussi ferme dans l'exercice de l'autorité que belle et bonne de sa personne, ce pour quoi admirée de toutes les élèves. Manuela en tombe amoureuse, sentiment secrètement partagé, se traduisant notamment par un baiser sur la bouche puis le don d'une chemise intime en remplacement d'une sienne usée. Mais, en état d'ébriété avancée d'avoir célébré son succès sur scène dans le rôle de Don Carlos dans la pièce de Schiller du même nom, elle clame scandaleusement son amour en divulguant devant les pensionnaires réunies le privilège compromettant du cadeau. Incapable de supporter en châtiment une mise à l'index avec interdiction désormais de communiquer avec son idole, la jeune proscrite opte pour le suicide, ce dont la sauvent de justesse ses camarades. 

   
Il s'agit de dénoncer les méfaits du conservatisme à la faveur d'une revendication au droit à l'épanouissement de l'individu qu'il réprime. C'est-à-dire la personne reconnue dans sa singularité, notamment sexuelle. Surtout concernant le délicat passage de l'adolescence. L'expérience érotique de Manuela se trouve dans cette phase vulnérable où elle méconnaît son identité psychosociale. La sexualité des filles de la pension en général est indécise. Le sex-appeal évoqué d'un acteur de cinéma est contrebalancé par les gestes tendres entre condisciples. Dans les bagages de Manuela, "Le verrou", fameux tableau de Fragonard, reproduit dans un livre bizarrement offert par le père, élève l'érotisme au-dessus de la division des sexes. C'est cette innocence d'un amour qui ne connaît pas l'ostracisme où il est tenu que traduit si bien l'émouvant jeu de Hertha Thiele/Manuela. Ceci face à une Dorotea Wieck dont la la figure limpide conjure toute mauvaise conscience. Étant donné l'enjeu politique sous-jacent, l'homosexualité féminine ne saurait être ici un simple thème racoleur. Une dizaine de plans suffisent en quelques secondes pour exprimer le désir de Melle von Bernburg. C'est Edelgard qui est interrogée en classe mais le regard de la professeure ne peut se détacher, en coulisse, du visage de Manuela, dans des plans inaugurés par un flou puis de plus en plus serrés avant qu'elle ne l'interroge à son tour, comme pour mieux l'admirer sans détour. La jeune fille en perd ses moyens. La direction d'acteur avec l'aide d'éclairages propres à mettre en valeur les accents les plus dignes est sans doute l'atout véritable d'une œuvre aussi forte de ce point de vue. C'est pourtant aussi bien la passion de la vivacité adolescente qui permet de tempérer le triste sérieux du drame saphique par le comique sarcastique d'une Ilse von Westhagen.   
   Une prise au grand sérieux de la fiction à laquelle se conforme le filmage. Celui-ci d'un conventionnalisme limitant l'audace artistique à des effets de représentation. L'économie de l'adaptation fût-elle judicieusement pensée avec cette cage d'escalier du suicide manqué prise à angles vertigineux, traitée comme le point géodésique du pensionnat, au gouffre de laquelle la turbulente Ilse lâche un pétard (qui se trouvait "justement" dans sa poche) pour en jauger la profondeur. Remplaçant la banale fenêtre du suicide effectif de
Gestern und Heute, le texte théâtral d'origine, elle matérialise au cœur de l'intrigue l'enjeu crucial de la vulnérabilité adolescente exposée à un système conçu pour broyer toute déviance à ses normes, ce d'autant mieux qu'il attend l'heure de sa revanche politique, plus imminent dans la réalité qu'on ne pouvait le croire.
   Ce qui pèche donc, c'est le caractère par trop fonctionnel et insistant de la mise en œuvre. La plongée sur les groupes rend hommage au nombre, des travellings décrivant même les rangées d'élèves pour un décompte superflu. Des panoramiques s'attachent au trajet des personnages sans autre intérêt qu'y placer un peu d'espace-temps réaliste. La demi-obscurité du dortoir se veut accentuer l'intimité de la distribution
par Melle von Bernburg des baisers du soir. De même que, laissant supposer qu'elle en manque par elle-même, la musique auxiliaire vous donne le la du pathos de l'image, l'éclairage expressionniste en rajoute sur la cage d'escalier prémonitoire ou par les décrochages sur le lyrisme des corps amoureux. De même que la contre-plongée aiguë de la directrice en plan serré tient lieu d'expression de la terreur. Davantage, le montage enfonce le clou de la déréliction. En parallèle à l'éloge directorial de l'éducation par la discipline et la faim, les filles vantent leurs plats préférés. Ou bien en plan de coupe dans la cuisine une soubrette fait état de la force anormale du punch pendant que dans la salle des fêtes Manuela, pour son malheur, célèbre d'une timbale toxique ses dons pour les planches. Cela devient carrément déchirant lorsqu'à la professeure chérie confiant à la directrice que Manuela n'a pas de mère, succède un plan d'ensemble de la malheureuse de profil, prostrée sur un banc au milieu du hall désert au hasard de l'échiquier des dalles, dans un clair-obscur la mettant face à l'absence. Autant d'affichages nuisibles à la différance, ou mise en réserve au profit d'une dynamique du potentiel émotionnel. Souci qui n'est pas tout à fait absent de la réalisation. Par exemple dans cette interférence entre la représentation théâtrale dans le film et l'intrigue : "J'entends des pas, quelle audace !" dit la reine à Don Carlos. Ceci juste au moment où von Bernburg en retard gagne sa place de spectatrice.
   En bref un réel courage politique globalement édulcoré par le recours au filmage consensuel. La fin tragique de la pièce ne se mue pas par hasard en victoire sur une directrice accablée par la tentative de suicide. Comme si, en une séquence pathétique où, s'éloignant de dos sous la sonnerie au clairon de la caserne voisine, elle s'absorbe peu à peu dans le fondu au noir final, la conscience la submergeait soudain de la malfaisance de son idéologie. Genre d'effet qui néanmoins dut contribuer au franc succès international du film. 11/09/22
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