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Japón Mex.-Esp. VO Scope 2002 122' ; R. C. Reygadas ; Ph. Diego Martinez Vignotti ; Mont. Daniel Melguizo, Carlos Serrano Azcona, David Torres Labansat ; Mont. son Ramón Moreira ; Déc. Alejandro Reygadas ; M. J. S. Bach, Dimitri Chostakovitch, Arvo Pärt ; Pr. NoDream Cinema ; Int. Alejandro Ferretis (l'homme), Magdalena Flores (Ascen).
Désireux de mettre fin à ses jours, un peintre quadragénaire et poliomyélitique quitte Mexico pour s’enfoncer à pied dans un profond canyon creusé dans un plateau désolé du Mexique. Il trouve à se loger dans la grange de la vieille Ascen habitant à l’écart du village d'Aya. Alors que peu à peu il renonce au suicide, naît en lui le désir de cette femme décrépite qui prend soin de lui. Cependant un neveu sorti de prison entend récupérer sa part du patrimoine familial en emportant les murs de la grange. Ascen accepte de coucher avec son hôte la veille de son départ. Il attend pourtant son retour quand, vêtue de la veste qu’elle lui emprunte, elle descend avec les démolisseurs dans la vallée sur une des remorques de son neveu chargées des pierres de la grange abattue entre-temps. Mais elle meurt dans l’accident du convoi fauché par un train, le laissant vraiment seul.
Épreuve initiatique donc, semée d’embûches dans un décor de montagne aride et grandiose en Cinémascope et que souligne le choix du plan-séquence. La descente nocturne du canyon en voiture est filmée comme la pénétration d'un mystère insondable. Le thème du chemin traverse le film de part en part, la route déserte du début n'étant pas différente de la voie ferrée de la fin. Il s’agit pour ce boiteux à canne de souffrir une sorte de Passion en gravissant une pente rocailleuse d’où il revient sanglant à la suite d’une chute lors d’une tentative manquée de suicide. Mais le Jésus du film est plutôt païen et ses adorateurs, fétichistes telle Ascen, collectionneuse d'images christiques. Le fils de Dieu prête ici sa divine chair au curieux érotisme des images. La vue du crucifix à la messe, provoque le sourire un peu gêné d'Ascen alors qu'en parallèle, son locataire prend des postures de crucifié.
Davantage, l'initiation passe par une expérience quasi chamanique de la chair érotique au seuil physico-chimique de la mort. Dans la première partie de son aventure, le héros a affaire à la mise à mort des plus crues d’animaux de chasse, puis de boucherie. Après le suicide manqué, il s’effondre auprès d’une charogne de cheval en décomposition. Les motifs de sa veste à carreaux rouges rappellent les pièces de viande de la boucherie du début. Ce qui s'inscrit dans la tension thématique d'Éros et Thanatos. Pendant la proposition de son hôte, Ascen observe le petit tas que forme ladite veste abandonnée sur le sol de la grange, qu'elle revêtira pour aller à la rencontre de sa propre mort.
Tragique de la mort pourtant inséparable de l’intensité de la vie, telle qu’elle s’exprime dans l’effort, trahi par le souffle et le rythme des chocs de la canne et des pieds sur un sol dur, pour s’affronter à un contexte d’immensité. Le passage du vent dans les arbres, les cris animaux, le roulement des pierres sur les pentes, sont ici la manifestation, en son direct, de la puissance de vie exacerbée par le cycle de la mort. La fétide charogne est indissociable de la saillie d’un couple de chevaux dans un champ. Ce glissement de l’état cadavérique le plus répugnant à l’acte de chair concerne Ascen dont la croupe trouble le peintre malgré le corps aussi flasque que momifié est le visage. Le coït humain s'inspire donc du chevalin. Le traitement de la lumière fondant, quand elle n’est pas voilée, les valeurs de la palette dans les gris et les blancs, impose, du reste, une tonalité crépusculaire, qui s'affirme dans des ciels ténébreux.
Fantasme artistique de base(1) extrêmement fort donc. En raison cependant de la recherche de certains effets, il souffre de déperdition. Ainsi le choix de musiques transcendantes (Bach, Pärt) est dangereux car elles risquent de déborder la condition filmique quand le défilement des images se réduit à un jeu chorégraphique. C’est le cas de la dernière séquence, dont le rythme et la durée sont exactement calculés sur ceux du Cantique à la mémoire de Benjamin Britten d’Arvo Pärt. Le film doit sans doute ses qualités à la contrainte de sobriété imposée par le budget (150 000$) et par les conditions de tournage. Mais des idées esthétiques étrangères, se manifestant sous la formes de réminiscences mal assimilées, celles de Tarkovski notamment : la Passion selon Matthieu comme dans Le Sacrifice (où la fonction de simple léger marquage, sans surcharger l'image, reste méconnue), mais aussi des plans caractéristiques comme la chute de la théière, le plan d'ensemble du lit avec un effet de lumière réverbérée de l'extérieur, le fauteuil sous la pluie, le chemin aux ornières gorgées d’eau comme dans la dernière séquence du Miroir.
En résumé l'art - authentique et prometteur - du film est quelque peu encore engorgé, freiné dans la liberté interne de ses échanges par des ajouts là où s'imposait le retranchement. 14/01/05 Retour titres