CINÉMATOGRAPHE 

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CHRISTENSEN Benjamin
Liste auteurs

La Sorcellerie à travers les âges (Häxan) Suéd. Muet N&B 1922 80' ; R., Sc. B. Christensen ; Ph. Johan Ankerstjerne ; Pr. Svensk Film Industri ; Int. Maren Pedersen (la sorcière), Clara Pontoppidan (la nonne), Tora Teje (l'hystérique), Elith Pio (le novice), Benjamin Christensen (le diable/le médecin à la mode), Oscar Stribolt (le docteur), Johs Andersen (le grand Inquisiteur), Karen Winther (Anna), Emmy Schonfield (Marie).

   
Étude de la sorcellerie et de la guerre féroce que lui déclara l'Église, composée de mises en récits fortement documentées, illustrée de gravures d'époque et complétée par des séquences didactiques sans que l'humour ni l'érotisme y perdent jamais leurs droits. L'Inquisition fit en deux siècles deux millions de victimes.

   On voit comment une amoureuse fait appel à une sorcière pour un philtre destiné au moine qui la trouble. Puis les ravages de l'Inquisition sur des innocentes d'une même famille, qui avaient accusé une vieille d'avoir envoûté le maître de maison, laquelle se venge en les dénonçant à son tour. Cela se termine par une comparaison avec les phénomènes qui relevaient alors de l'hystérie pour conclure que le diable n'est pas mort. Les fantasmes nocturnes de l'hystérique se fixent sur un homme de prestige jouant le même rôle que le diable. Le comportement aberrant de la kleptomane n'a rien à envier à celui des religieuses délirantes d'autrefois. Les réponses de la psychiatrie sont-elles vraiment plus raisonnables que celles de l'Inquisition ?

   S'inspirant d'un large éventail iconographique, avec un souci d'exactitude historique, les images jouent sur la sensation d'une époque, grâce non seulement au décor, au costume et au jeu des acteurs, mais surtout à la hardiesse de la mise en
œuvre proprement filmique.
   L'érotisation procède du mouvement dans l'excès : traduisant la fureur lubrique dans les
orgies démoniaques, les danses sataniques de messe noire ou de possession, ou bien les figures perverses : gestes saccadés du diable maniant la baratte à beurre ou frétillements de langue dardée du même.
   Ce à quoi répond le grotesque de gros-plans grimaçants de
religieuses. Les clairs-obscurs nous plongent dans une parodie du mystère. Cadrage, éclairage et mouvement soulignent ensemble la laideur associée à la sorcellerie. L'usage de la surimpression sert aussi bien le surnaturel que, par la coexistence en surimpression du gros plan expressif et du plan d'ensemble, l'expression de la douleur dans la pénitence.
   Le hors champ offre toujours des ressources supplémentaires à l'expression de la persécution. Une suppliciée est tirée des bords latéraux alternativement dans un sens puis dans l'autre par ses deux bourreaux. Le cadre en se confondant avec un cadre diégétique fermé par un rideau permet de présentifier plaisamment le diable écartant brusquement le rideau sur un mode ludique, dans la confusion volontaire, (composition quadratique
(1)), du cadre diégétique avec celui de l'écran.
   Des objets du décor dramatisent la situation, comme les deux poulets dont les têtes pendouillent sur la table de la cuisine de Jesper le relieur, préfigurant le sort des sorcières.
   Le décalage de ton par un léger forçage du trait, associé au laconisme du récit, qui feint de trouver naturels des comportements aberrants, par exemple l'examen détaché à l'iris et en gros plan des instruments de
torture, détermine une ironie subtile, forme de connivence amusée épargnant l'ennui de l'exposé savant.
   C'est ce souffle de filmicité qui fit de cette œuvre inclassable un modèle du grand cinéma suédois. 3/08/05 
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