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Les Affranchis (Goodfellas) USA VO 1990 140' ; R. M. Scorsese ; Sc. M. Scorsese et Nicholas Pileggi, d'après son livre Wiseguy ; Ph. Michael Ballhaus ; M. chansons d'époque ; Int. Robert De Niro (Jimmy Conway), Ray Liotta (Henry Hill), Joe Pesci (Tommy DeVito), Lorraine Bracco (Karen Hill), Paul Sorvino (Paulie Cicero).
Natif de Brooklyn et grand admirateur des caïds et du milieu, Henry Hill conte sa vie de gangster, de l'ascension à la chute. Il aura connu la puissance, la vie facile, mais en apparence seulement, car les contraintes y sont draconiennes. Notamment avoir une vie de famille et se soumettre à la hiérarchie. Ayant transgressé les règles du milieu, Henry se trouvera mis à l'index et contraint de collaborer avec la justice pour sauver sa vie. Il vivote ensuite médiocrement à l'écart, sous haute protection.
Sans se faire d'illusion sur la portée profonde de ce policier néanmoins original, il faut saluer sans réserve le savoir-faire du réalisateur. La candeur du narrateur principal a juste ce qu'il faut d'excessif pour qu'une distance implicite, à peine ironique, se creuse sous l'œil du spectateur. Mais pas trop pour éviter la caricature. Cet effet est souligné par le point de vue de Karen lorsqu'elle prend le relais de la narration, découvrant d'abord sans comprendre le milieu auquel appartient Henry.
Cependant, ludique et fort, le montage, en imposant le travail filmique, est pour beaucoup dans cette mise en perspective. Le jeu s'établit d'abord entre le son et l'image. Des raccords-son d'anticipation ou de prolongation de scène resserrent le récit en superposant des événements distincts. Mieux, un chant d'accompagnement devient musique d'écran lorsque l'on passe d'une scène extérieure à une autre de cabaret où le couple sirote du champagne en écoutant le chanteur sur scène, et retourne over au plan suivant alors qu'ils sablent le champagne dans la voiture. Le même effet de simultanéité résulte d'un décalage entre le commentaire et l'image : l'image n'est presque jamais illustrative. Elle est complémentaire, ajoutant des informations qui enrichissent le commentaire de façon elliptique.
Une véritable science de l'ellipse, du reste, s'affirme par ailleurs. Avant même de quitter le restaurant on entend le bruit d'ouverture de la portière de la voiture. Elle ne se referme, au plan acoustique, que lorsqu'on est arrivé à destination. Ou, encore plus elliptique, pendant le maquillage des femmes de la bande, un double rugissement de moteur anticipe le départ de Karen. L'ellipse est combinée avec un raccord métaphorique quand Karen explique en rabattant un couvercle sur le pistolet en plan serré que le fait d'avoir eu à le cacher l'excitait, le plan suivant cadre, en plan serré, la main du rabbin enveloppant le verre à pied pour le rituel nuptial.
Ajoutons que représenter l'effet avant la cause produit paradoxalement un effet d'ellipse, même si ce n'est qu'une inversion : Staks est abattu par Tommy. On n'apprend ensuite seulement qu'il avait commis une faute dans le hold-up. Appelé d'urgence au téléphone par Karen, Henry est annoncé par des crissements de pneus et le reflet de sa voiture dans la cabine de verre abritant toujours sa fiancée.
La vélocité du récit se retrouve au niveau du plan lui-même. Ainsi, par une économie de champ/contrechamp, c'est dans le rétroviseur que l'on découvre l'agresseur de Karen en face de chez elle au moment où Henry la dépose avant d'aller lui casser la gueule accompagné en panoramique. Les conversations au téléphone introduisent la vision subjective du narrateur, en alternant plan fixe sur lui-même, et travelling avant sur l'interlocuteur comme s'il essayait de se l'imaginer.
L'auteur de Taxi Driver sait aussi tirer parti des faits secondaires comme tissu interstitiel d'événements essentiels. Durant toute la séquence où Henry est filé par un hélicoptère, il prépare en alternance une sauce qu'il fait surveiller en son absence par son frère comme si la sauce était le véritable liant narratif. Il sait aussi tirer un parti symbolique(1) des détails. Vieilli, le Jimmy suspicieux envers Henry porte des lunettes grossissant l'œil droit.
Bref, du pur et délectable cinéma. Il n'y manque qu'une dimension éthique(2) d'envergure proportionnée, même si la remarque est absurde en considérant qu'il ne s'agit pas seulement d'un ingrédient mais d'un autre projet requérant d'autres moyens et qui finalement ne convient pas du tout à Scorsese. Prenons le pour ce qu'il nous donne, ce n'est déjà pas si mal ! 12/07/01 Retour titres