CINÉMATOGRAPHE 

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Carl Theodor DREYER
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Les Fiancés de Glomdal (Glomdalsbruden) Dan. Muet N&B 1926 75' ; R., Sc., C.T. Dreyer d'ap. deux nouvelles de Jacob Breda Bull ; Ph. Einar Olsen ; Pr. Victoria Film, Oslo ; Int. Einar Sissener (Tore), Harald Stormoen (son père), Alfhild Stormoen (sa mère), Tove Telback (Berit), Stub Wiberg (Ola, son père), Einar Tveito (Gjermund), Rasmus Rasmussen (le vicaire), Sofie Reimers (son épouse).

    

   Venant de l'étranger, Tore prend en main la pauvre ferme que son vieux père ne peut plus entretenir. La fille du riche Ola, Berit, et Tore s'aiment mais le père arrange un mariage avec Gjermund, prétendant compatible avec sa propre opulence. Berit s'enfuyant le jour du mariage pour rejoindre son bienaimé fait une grave chute de cheval. Dans ses bras, Tore la ramène inconsciente à la maison où elle est confinée par le médecin. Son père la renie. Cependant une fois remise, ne pouvant résister à son désir pour Tore, la jeune femme décide d'accepter l'hospitalité de la femme du vicaire. Après avoir écouté Tore, l'homme de Dieu se met en campagne pour que l'union de ceux qui s'aiment s'accomplisse. Mais Berit doit retourner chez son père auquel le vicaire arrache l'autorisation de mariage. Après quoi il va sermonner Gjermund pour avoir menti sur le consentement de Berit. Le jour du mariage, fou de jalousie, Gjermund va rompre à la hache les amarres des barques indispensables à la traversée de la rivière pour se rendre à l'église du village. On envoie un cheval à Tore pour le ramener sur la bonne rive. Désarçonné il est emporté par les flots, échappant de peu aux rapides, au grand désespoir de Gjermund. Le mariage est célébré après force bonnes paroles de saine morale du vicaire contre les abus du pouvoir paternel

  

   Long métrage dont le naturalisme flamboyant contourne toutefois les risques de l'écriture. Sauf avec la hache énigmatique qui se trouve d'abord dans la main d'Ola face au père de Tore, puis comme instrument de vengeance de Gjermund coupant les amarres des deux barques, qui dérivent à vide et sortent du champ, véritable figure des fiancés empêchés au mariage. Økse désigne la hache en danois. Ce qui nous rappelle que Berit s'était plainte d'être ravalée par le marchandage matrimonial au rang d'une pièce de bœuf. Elle emploie le mot "Kwaeg", mais bœuf se dit aussi Okse. Littéralement, le père a la pièce de bœuf en main : "Økse/Okse i Haanden".  Par la figurabilité donc, l'archi-écriture court-circuite le logocentrisme. Ce qui ne suffit pas pour s'affranchir de la morale représentée par la sainte figure du vicaire que complète le plan conclusif du clocher de l'église cerné à l'iris, ce à quoi répondent ces édifiantes paroles : "Et toi, Ola Blomgaarden, tu as appris que l'amour est un don de Dieu et que l'homme ne doit pas y interférer". Le message s'impose au détriment du questionnement. Ce qui peut entraîner des clichés. Certes la rivière qui sépare les deux familles est une convention qui se légitime largement. Mais le coup des rapides est un peu trop connu, et les commentaires des cartons se font soudain bavards et redondants à l'image, même si le filmage en constitue une performance.
    Ce trop de sérieux est
heureusement tempéré par le burlesque. Intimidés, les "fiancés" assis se lèvent à l'entrée du vicaire, tournant machinalement dans leurs mains, lui son chapeau, elle symétriquement l'assiette sur laquelle on lui avait sans doute servi quelque cake hospitalier. Comme attristé de l'état de santé de Berit, le cheval du docteur refuse le seau d'eau que lui tend Tore.
   L'intérêt principal y reste donc le soin avec lequel l'histoire est implantée dans un décor superbement bucolique en accord avec l'amour des fiancés, élevant au sublime panthéistique le désir de Berit. C'est par elle surtout que l'amour fraye son chemin. Elle qui a la force de se révolter contre son père et détourne quelque peu Tore de sa rude tâche de fermier. Le comportement des fiancés à cet égard témoigne d'une fine observation. Et les éclairages savent se faire suffisamment étals pour laisser aux chairs leur émanation propre. La sensation du poids des corps en général, dont le mouvement semble se dissocier de la vitesse de la pellicule, celle des odeurs respirées à pleins poumons par Berit affalée dans les herbages fleuris, celle des sons suggérés, notamment les appels lancés d'une rive à l'autre, tout cela sous la lumière naturelle d'été constitue un riche effet de  sensuelle
réalité. 28/09/20 Retour titres Sommaire