CINÉMATOGRAHE 

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Yasujiro OZU
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Le Fils unique (Hitori musuko) Jap.  VO N&B 1936 87' ; R. Y. Ozu; Sc. Tadao Ikeda, Masao Arata; Ph. Shojiro Sugimoto ; M. Senji Itô ; Pr. Shōchiku ; Int. Chōko Iida (Otsune), Shin'ichi Himori (Riosuke Nomomiya), Masao Hayama (Riosuke enfant), Yoshiko Tsubouchi (Sugiko, l'épouse ), Chishū Ryū (Okubo).

   1923. Ouvrière dans une filature de soie
à Shinshu, la veuve Otsune ne peut subvenir aux études de son fils Ryosuke, pourtant recommandées par le professeur Okubo. Ce dernier déménage à Tokyo où il espère faire carrière. Otsune se décide à faire le sacrifice d'y envoyer le garçon jusqu'à vendre tous ses biens, afin qu'il devienne un "grand homme". En 1936 elle débarque à Tokyo pour, dans un quartier pauvre, trouver son fils de vingt-sept ans marié, père d'un nourrisson, vivotant comme "demi-professeur" à l'étude du soir. Ensemble ils rendent visite à Okubo qui, en guise de carrière, se retrouve gargotier. Soutenu par son épouse, Ryosuke se dépense sans compter pour le bien-être de la mère.
   Laquelle reprochera à son fils, qui regrette le tour pris par son destin, de se résigner à sa situation puis lui reconnaîtra une valeur d'avoir porté secours à un enfant blessé sous une ruade de cheval. Elle finit par rentrer chez elle. Ryosuke décide de reprendre des études.
   Frottant les parquets de la filature à Shinshu,
Otsune affabule auprès d'une collègue la réussite sociale de son fils, mais reste d'autant aigrie par la réalité contraire constatée.

   J'ai dit à propos du muet Histoire d'herbes flottantes qu'il y avait d'abord un monde d'objets, dans les interstices duquel étaient glissés des personnages. C'est vrai ici, du premier film sonore d'Ozu, pour un monde à la fois d'objet (animés et inanimés) et de sons. 
   Ces notations concrètes,  contingentes
apparemment, constituent les métonymies d'un univers impassible. Ainsi, à l'extérieur : le linge et les écheveaux de coton au séchage croisant contre le ciel les fils aériens du téléphone, à l'intérieur : l'"hibachi", ce grand pot de céramique alimenté en braises pour se chauffer en hiver et tenir au chaud le thé en toute saison, une affiche de star de cinéma occidentale, un biberon, un oreiller, etc., et, au plan sonore, le battement cadencé, jamais au repos, d'une usine du voisinage.
   Surtout, cette profondeur "élémentale" appartient à la fois à la diégèse dont elle étend indéfiniment la contextualité, et au cadre bidimensionnel auquel elle participe en composition. Grâce au plan fixe, de tels objets deviennent alors des médiations subtiles entre la diégèse et sa fabrication. Des poteaux et éléments parallèles aux bords du cadre redécoupent le champ selon l'espace quadratique. L'hibachi ira se caler dans un coin inférieur du cadre comme point remarquable tout en s'enfonçant dans le bas-cadre dont il désigne l'au-delà opératoire du hors-champ. Alors que l'intrigue va s'assombrissant, elle s'inscrit dans un jeu qui la dédramatise. La sourde et obsédante cadence de la machinerie d'usine est une manifestation de la réalité sordide du lieu, mais elle appartient à l'espace ludique du hors-champ. Les parents se lamentent sur leur triste condition alors qu'un insert du bébé endormi désamorce le pathos. Bébé dormeur, véritable objet inaccessible au bruit et à la fureur du monde ! Comme le cheval broutant paisiblement, même pas indifférent mais simple présence opaque, alors que, victime d'une ruade,
le petit Tomi est emporté inconscient ; davantage, surcadré entre les pattes du cheval ! Même le jeu des acteurs est ambigu. Réécoutez les sanglots de l'enfant ou de la femme, revoyez les perpétuels sourires contraints de la mère et du fils...

   L'action, de même, n'est jamais un événement surgi de nulle part, ayant sa valeur en lui-même. Elle exige tout un précautionneux montage, partant de la périphérie vers le centre, pour parfois retourner symétriquement à la périphérie. 
   Ryosuke revient en taxi avec sa mère de la gare de Tokyo. Le taxi les laisse à la lisière d'un terrain vague à l'horizon duquel se profilent des bâtiments divers en plan d'ensemble, qui caractérisant le quartier pauvre, où se mêlent fabriques et habitations à l'arrière-plan vers lequel ils cheminent dos-caméra. Plan suivant, moyen, de la maison où flotte du linge et des écheveaux de coton fraîchement teint, au rythme sonore de l'usine. Recadrage plus serré des écheveaux avec accentuation de la cadence mécanique. Suit une ruelle dans l'axe de la caméra montrant le couple à l'approche face sous les linges et écheveaux au vent. Aux battements d'usine se joignent des coups de marteau. Enfin, plan moyen de l'intérieur du logis. Entrée face-caméra du fils et de sa mère. "Voilà Maman !" Contrechamp de Sugiko surgissant accroupie d'une chambre, etc. Il y a pénétration progressive par conséquent au cœur de l'action, qui n'est que simulacre.
 

   L'intrigue dessine donc un monde pessimiste. Tokyo n'a pas même réussi au fameux professeur Okubo. Mais ce monde se décrit au moyen d'une écriture qui n'y est pas assujettie. Il n'y a pas de solution de continuité entre le propos et l'écriture. Le projet filmique est pris dans un régime qui suspend toute valeur. À le prendre à la lettre, c'est plutôt mièvre, sentimental et moraliste, ce qui s'exprime bien dans la musique auxiliaire, qu'Ozu ne sait pas encore dédramatiser en ritournelle, comme il le fera ultérieurement. Il faut au contraire saisir cet effet de décalage et cet humour imperceptible de l'écriture, qui n'est pas le récit.   22/07/18 Retour titres