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Et tournent les chevaux de bois (Ride the Pink Horse) USA VO N&B 1947 99' ; R. R. Montgomery ; Sc. Ben Hecht et Charles Lederer, d'après Dorothy B. Hughes ; Ph. Russel Metty ; M. Frank Skinner ; Pr. Joan Harrison/Universal ; Int. Robert Montgomery (Gagin), Thomas Gomez (Pancho), Rita Conde (Carla), Iris Flores (Maria), Wanda Hendrix (Pila), Grandon Rhodes (Mr. Edison), Art Smith (Bill Retz), Fred Clark (Hugo).
Au moment où l'on s'apprête à brûler en effigie Zozoba, le dieu de la malchance, l'ancien GI Gagin débarque dans un petit bourg du Nouveau-Mexique muni d'un chèque compromettant pour faire chanter le truand Hugo, responsable de la mort de son ami Shorty. Gagin est hébergé par Pancho, propriétaire d'un manège, et protégé par Pila, une indienne âgée d'environ quatorze ans qui, ayant eu la vision de sa mort, lui a fait cadeau d'une statuette protectrice.
Il parvient à se débarrasser de deux hommes de main de Hugo mais est poignardé dans la bagarre. Pila le soigne. Bien que mal en point, il retourne chez Hugo. L'adolescente l'y rejoint. Les hommes de Hugo entreprennent de les tabasser. Ils sont sauvés par Bill Retz du FBI, auquel Gagin avait refusé son concours dans la traque du truand. Renonçant finalement à la vengeance et au gain, le héros remettra le chèque au fonctionnaire d'État pour que Hugo soit jugé. Retz assiste Gagin dans ses gauches adieux à Pila, qui aura tiré grand prestige de cette aventure.
Malgré l'exotisme du Nouveau-Mexique, qui pouvait faire craindre tous les clichés du genre, ce film noir ne ressemble à aucun autre. L'usage du plan séquence comme figure d'autonomie du héros, permet de régler le récit sur son énergie psychologique. Celle-ci est le véritable foyer narratif, allant jusqu'à déterminer une vision du monde. D'autant que nul commentaire musical ne dicte sa loi extrinsèque : toute la musique est d'écran, soumise au monde diégétique. Par leurs variations, les plans sonores s'inscrivent dans un contexte sonore qui ne cesse de manifester la présence des choses, y compris dans la nuit silencieuse.
Désabusé, Gagin est cynique à l'égard des autorités, comme de ses semblables. Ne va-t-il pas dénoncer à Retz les trafics de l'État avec les Hugo pendant la guerre ? Dépourvu d'illusions sur les gens, il maltraite Pila, sans jamais la ravaler au rang de sous-humanité comme dans les productions habituelles. Objectivant la vision du héros, la maîtresse de Hugo tient, du reste, un rôle à l'opposé de celui réservé aux jolies actrices habituelles : elle l'attire avec un visible plaisir dans le piège mortel d'où il sort grièvement blessé. Pila le soigne au contraire avec tant de tendresse, qu'il ne sait plus comment lui annoncer son départ.
Tout le piment vient de la sexualité latente de leurs rapports. Lorsqu'elle rôde la nuit autour du bivouac de Pancho qui l'héberge, l'Américain lui propose un tour de manège : to ride (monter), signifiant aussi "baiser", de plus sur un cheval rose, d'où la force du titre original. Plus tard il lui confie le chèque à mettre dans son corsage, afin que personne n'y touche... Aux adieux, d'autres jeunes filles solidaires manifestent une attitude inquiète de chaperons.
Les prises de vue ne se limitent jamais à la stricte fonctionnalité narrative. Elles incluent toujours quelque élément visuel et/ou sonore contextuel jouant sa partie, l'action interférant avec l'univers social. Ainsi, la crémation rituelle du dieu Zozoba annonce la chute de Hugo. Un fondu enchaîné passant d'un gros plan sur les mâchoires articulées du dieu à celles de Hugo attablé au café établit clairement l'analogie.
Film noir d'exception parce qu'il suit sa voie propre sans exclure la problématisation éthique(1). 23/04/03 Retour titres