CINÉMATOGRAPHE 

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Victor SJÖSTRÖM
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La Lettre écarlate (The Scarlet Letter) USA muet N&B 1926 65' ; R. V. Sjöström ; Sc. Frances Marion, d'apr. le roman de Nathaniel Hawthorne (1850) ; Ph. Hendrik Sartov ; Mont. Hugh Wynn ; Pr. Irving Thalberg/MGM ; Int. Lilian Gish (Hester Prynne), Lars Hanson (Arthur Dimmesdale), Henry B. Walthall (Roger Prynne), Karl Dane (Giles), Joyce Load (Pearl).

   Dans un village de colons du 17
e siècle le puritanisme confine à l'absurde : Hester Prynne est condamnée au pilori pour avoir couru, et laissé chanter son oiseau le jour du Seigneur. Le révérend Dimmesdale, un saint homme admiré de tous, adoucit sa peine et la délivre du carcan. Ils s'éprennent l'un de l'autre, mais quand il parle de mariage, elle avoue être l'épouse d'un médecin parti au loin, qu'elle n'aime pas et auquel elle ne s'est jamais donnée. Bientôt naît un enfant. Estimant que le rôle de son amant au sein de la communauté est essentiel, elle lui interdit de se dénoncer. On la condamne à porter à vie l'écarlate lettre d'infamie : "A" pour adultary. Son enfant, auquel on a refusé le baptême, doit être confié à une digne Chrétienne. Mais le pasteur s'interpose et le baptise sur le champ, ce qui permet à la mère de le garder.
   Cependant, le mari survient après sept ans de captivité chez les Indiens. Surprenant le couple sur le point de partir en secret, il
avertit son rival qu'il les suivra partout. Déjà malade et rongé par les remords, à bout de forces sur la place publique, le prêtre dévoile à ses ouailles la lettre A imprimée par lui-même au fer rouge sur sa propre poitrine puis meurt dans les bras de sa bien-aimée.

   Deux forces s'opposent : celles du dogmatisme puritain et celle de l'amour, comme la prison à la liberté. La conciliation est impossible et c'est pourquoi le prêtre, qui appartient aux deux camps à la fois, ne peut que mourir.
   L'église est dès le départ identifiée à la répression dans un travelling vertical allant du clocher à la cage de l'ivrogne sous le pilori, après le tout premier plan partant en travelling vertical bas-haut d'une touffe de fleurs des champs illuminée de soleil et s'achevant sur un prisonnier derrière ses
barreaux. Le travelling est ici une façon de montrer les choses du doigt. Ainsi les fiancés ne peuvent-ils communiquer qu'au moyen d'un long tube acoustique dont un travelling latéral souligne le caractère comique, faisant suite au ridicule de la condamnation de Hester pour avoir poursuivi l'oiseau trop expansif. L'épisode de l'oiseau est la première métaphore de cette expansion de l'âme que constitue l'amour.
   Dans un clair-obscur de registre fantastique intensifiant l'effet, Hester perd son bonnet dans la course, ses cheveux se libèrent et ses mains s'agitent comme des
ailes. L'expansion du corps participe de celle de l'espace comme mode d'effusion lyrique du film. Vaste et luxuriant, le décor témoin de leurs rendez-vous exalte la passion amoureuse. Le complot du départ unit la dilatation passionnée de l'espace à celle du corps : pour affirmer sa foi en la liberté Hester dénoue une fois de plus ses cheveux en se débarrassant de la lettre d'infamie.
   À l'inverse, les abords du village ne comportent que des arbres
tronqués. De même que l'intérieur du logement de la jeune femme, avec sa haute lucarne munie de barreaux et sa grosse chaîne scellée au mur, ressemble à une prison.
   Il existe pourtant une force médiatrice parce qu'elle a le pouvoir d'inverser le signe des affects négatifs : l'humour. Hester a un allié en la personne de Giles, qui adresse des
grimaces à sa dénonciatrice à l'église (Karl Dane est bon acteur non pas parce qu'il joue bien mais parce qu'il remplit parfaitement une fonction du film. Voir aussi à cet égard La Grande Parade de King Vidor). Ces ressources cachées qui auraient pu les sauver restent ignorées des amants, trop sérieusement engagés dans leurs devoirs respectifs.
   Pourtant les sous-vêtements "impudiques mais nécessaires", lavés entre femmes à l'abri des regards masculins donnent lieu à un joyeux jeu érotique inconscient entre le pasteur et sa brebis préférée. Cette fois le travelling latéral du plan d'ensemble d'une puissante nature où se perdent les amoureux à droite va ironiquement cadrer la petite-culotte blanche dissimulée en hâte derrière un
buisson. Seul moment de plénitude où l'amour ne semble pas menacé par les forces mauvaises qui rôdent.
   On voit que, comme toujours, la dimension artistique ne repose pas sur une quelconque perfection sémantique, mais sur une dialectique sensorielle : sur des rapports problématiques entre des tendances qui s'affrontent. Ce qui fait la valeur de ce film est incommensurable avec l'idée dominante du cinéma. C'est toujours en vain que les films s'étirent en longueur pour enrichir leur contenu : la plupart des films sont aujourd'hui deux fois trop longs. 7/03/04
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