CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Jacques DEVAL
Liste auteurs

Club de femmes Fr. 1936 106' ; R., Sc. J. Deval ; Ass. Jean Delannoy ; Pr. L. Schlosberg, Films J. Deval ; Int. Danièle Darrieux, (Claire), Betty Stockfeld (Greta), Else Argal (Alice), Eve Francis (Mme Largeton), Valentine Tessier, Josette Day (Juliette), Raymond Galle (Robert), Junie Astor (Hélène).

   Immeuble futuriste équipé de tout le confort moderne, d'une piscine, d'une salle d'études et de chambres individuelles, la cité Femina à Paris loge à bas prix les jeunes filles pour les protéger des abus masculins.
   On s'attendrait à un affreux discours pudibond et moralisateur. C'est en fait une véritable utopie humaniste.
   Les filles débarquant de province se trouvent réellement exposées à ces dangers. Hélène, la standardiste de la cité, est en liaison permanente avec le souteneur Maurice qu'elle approvisionne en chair fraîche. Sous des dehors de dragon, la directrice, Mme Largeton, administre avec amour, encouragée par la doctoresse qui témoigne d'une sensibilité maternelle à l'égard des pensionnaires.
   Plusieurs destins se croisent. Danseuse aux Folies-bergères, Claire cherche par tous les moyens à introduire dans sa chambre son amoureux. Elle est sollicitée en vain par Maurice qui en revanche a su convaincre la Danoise Greta de rencontrer des hommes riches. Il corrompt également Juliette à qui la lesbienne énamourée Alice donne des cours d'orthographe. Hélène se heurte d'abord au refus très net de Claire, qui la pousse dans la piscine, puis de Greta, qui s'imagine casée avec un millionnaire octogénaire. Enfin elle est empoisonnée par Alice pour venger Juliette. La doctoresse parvient à obtenir le permis d'inhumer et envoie la meurtrière en mission médicale en Océanie.
   Quant à Claire, qui a réussi à installer chez elle son Robert déguisé en cousine, elle tombe enceinte. Secret absolu ; mais cent cinquante filles tricotent furieusement à l'écart. Cependant Robert est découvert et, traduite devant le terrible comité des rombières, Claire est sauvée par la doctoresse qui fait valoir qu'un seul homme s'est introduit dans la place, alors que cent cinquante mâles fictifs voire réels rôdent, car il s'agit de vraies femmes. Le spectateur le savait déjà grâce à la liberté de ces plans sur des cuisses nues étendues, voluptueusement frottées l'une contre l'autre. Claire est accouchée dans sa chambre par la doctoresse surprise, puis devant le tableau touchant de la maman et du bébé (auquel est aussi sensible le spectateur grâce à la science de l'éclairage), la directrice pardonne. 

   La modernité du propos ne serait rien sans l'art qui le véhicule. Art du montage, de l'ellipse, de la métonymie érotique, du plan-séquence, de l'éclairage, bref de la poésie.
   À l'annonce à Robert de la grossesse par Claire tendrement accointée sur le lit, un contre-champ cadre la fenêtre entrouverte au rideau blanc légèrement soulevé par la brise comme un souffle annonciateur. Juliette revenant du rendez-vous suborneur est blafarde comme un cadavre. Elle arrache sa robe et se lave à grandes eaux avec une énorme éponge sur plusieurs plans, alternant avec les autres événements de la maison. Lorsque le secret de polichinelle dans le tiroir se répand par des chuchotements divers, la première indiscrète joue au piano une ballade, qui continue à s'entendre hors-champ tandis que l'action s'étend à tout l'immeuble. La même musique reprend hors diégèse dans une séquence ultérieure, puis la pianiste réapparaît pour conclure le cycle.
   Ce qui n'exclut jamais l'humour, même dans le tragique. Hélène à l'agonie, les narines saignantes, murmure le nom de Maurice dont la parfaite bobine de maquereau cigarette au bec, chapeau en arrière et cravate agressive, apparaît brièvement sur un portrait à l'arrière-plan. Alice, qui récitait amoureusement à Juliette le poème de Baudelaire "Mon enfant ma sœur, songe à la douceur, d'aller là-bas vivre ensemble...", se retrouve sur une île aux antipodes. Consultant avant de partir la carte du monde dans la salle d'étude elle s'entend dire par une pensionnaire à dégaine masculine : "Quelle chance tu as, j'irais bien moi aussi." À Greta, qui avait complaisamment
vanté les fastes de son riche mariage puis s'était ravisée, est offerte une place de serveuse.
   De vrais moments de silence laissent le pathétique naître de lui-même. Le film a néanmoins vieilli, en raison des choses d'époques présentées pour elles-même, en propre et non en fonction, comme le chemin de fer, le costume et le maquillage, l'architecture, la musique. De même que, contraint par le sérieux réaliste, le jeu des acteurs se limite à une vraisemblance datée.
   Pour atteindre au chef-d'œuvre, ce qui manque à cette œuvre vraiment libre au plan du discours, c'est, par jeu symbolique
(1) et interaction entre les fragments, un régime d'écriture tel que ces derniers ne prétendent pas être en soi source d'émotion, et que les acteurs soient des relais sensibles et non de pâles copies à prétention d'absolu véridique. Mais surtout la musique auxiliaire, en tant que son esthétique relative est en position absolue, fût-elle ici relativement discrète, était d'avance condamnée à se démoder à court terme. 1/01/02 
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