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Emir KUSTURICA
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Chat noir, chat blanc (Crna macka, beli macor) Fr.-Yougo. VO 1998 120' ; R. E. Kusturica ; Sc. Gordan Mihic ; Ph. Thierry Arbogast ; M. Nele Karajlic, Dejo Šparavalo, Voja Aralica ; Mont. Svetolik Zajc ; Pr. Karl Baumgartner ; Lion d'Argent à la Mostra de Venise en 1998 ; Int. Bajram Severdzan (Matko), Srdjan Todorovic (Dadan Karambolo), Branka Katic (Ida), Florijan Ajdini (Zare), Ljubica Adzovic (Sujka, la grand-mère d'Ida), Zabit Memedov (Arije, le grand-père de Zare), Sabri Sulejmani (Grga Pitic, le parrain), Jasar Destani (Grga, le géant petit-fils du parrain), Salija Ibraimova (Ladybird).

   Au bord du Danube chez les Gitans, dans une ambiance bouffonne, tandis qu'un couple de chats, l'un noir l'autre blanc, musarde et s'aime, que des troupeaux d'oies défilent paisiblement en attendant la casserole, et que quelque part un cochon déguste une Trabant, Matko, petit contrebandier vivant avec son fils Zare, cherche des associés pour détourner un train d'essence. Il fait appel au truand Dadan et à un parrain infirme, ami d'Arije le père de Matko qui, vissé sur un fauteuil roulant à moteur deux temps bourré de billets de banque, vit retranché dans une usine clandestine gardée comme une forteresse.
   Par amitié pour Arije déclaré mort pour l'attendrir, Grga Pitic contribue au financement du projet. Entre-temps il autorise son propre petit-fils le géant à partir en voyage à condition de revenir avec une fiancée. Quant à Dadan, il participe, mais double Matko qui devient son obligé. Il consent à effacer la dette si Zare - qui aime la belle Ida - épouse sa sœur Ladybird, une naine amoureuse des géants. Mais la veille du mariage Arije passe l'arme à gauche.
   Dadan et Matko décident de garder le décès secret et le cadavre au frais pendant trois jours. Au mariage, Ida pleure dans le giron de sa grand-mère l'aubergiste, mais Ladybird s'enfuit. Elle rencontre le géant aussitôt épris, et son grand-père accouru en fauteuil à pétrole. Ils tiennent en respect sur leurs talons la bande armée de Dadan, celui-ci néanmoins flatté d'entrer dans la famille du parrain vénéré. Un nouveau mariage conjointement avec celui d'Ida et Zare est célébré, durant lequel Grga Pitic meurt. On décide donc de le conserver avec l'autre grand-père pour ne pas compromettre la cérémonie. Soudain les deux vieux ressuscitent, se débarrassent des pains de glace et viennent se joindre aux autres médusés.
   Sur l'initiative de Zare, on se venge de Dadan en le précipitant dans la fosse aux latrines dont le siège a été scié. Matko se porte à son secours : "C'est le début d'une longue amitié" ironise Pitic parodiant la fin de
Casablanca de Curtiz, son film fétiche. Grand-père Arije confie à son petit-fils qu'il lui réserve, caché dans un accordéon, le produit de la vente de sa cimenterie, que Matko cherchait partout en vain. Dûment munis du précieux instrument, Ida et Zare rallient un luxueux bateau allemand croisant sur le Danube. Matko spolié, Zare est le grand gagnant de l'histoire qui est donc montée comme un récit initiatique.

   Au-delà de cet intérêt narratif, Kusturica se montre comme toujours passionné de l'extravagance d'une société marginale fortement caractérisée, au système de valeurs déconcertant, où importent au premier chef grands-pères et grands-mères, musique de fanfare et danse, et où l'argent est d'autant plus facile et abondant qu'il est méprisé. Ceci en dérision du monde dominant que symbolisent les gadgets ménagers offerts en mariage (ils savent bricoler tout ce qui est nécessaire, comme en témoignent les ustensiles de la maison), et la Trabant digérée par un cochon.
   D'où le choix du burlesque, qui semble à l'auteur le mode d'expression le plus approprié. La pétrolette, les lunettes et le pistolet d'or du parrain, qui ne se lasse pas de
Casablanca en VO, la fosse aux latrines, la caricature des gangsters, bref, l'excès est de rigueur avec des situations impossibles et une belle galerie de tronches rythmée par la fanfare de service chargée d'installer la couleur locale.
   Oui mais, tout cela représenté, c'est-à-dire d'abord joué dans les décors, puis filmé bien centré quoique sans épargner les effets d'angle ni la débauche de couleurs et de mouvements, sans l'ombre en tout cas du moindre décalage qui se jouerait sur la filmicité
(1). Ce qui produit une sensation de platitude frustrante. On sent bien que c'est original, mais en amont seulement. Subsiste, non sans quelque lourdeur, un pittoresque loufoque médiatisé et nullement performatif (au sens où l'expression est l'acte même). 27/09/02 Retour titres