CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Charlie CHAPLIN
Liste auteurs

Charlot Policeman (Easy Street) USA Muet N&B 1917 deux bobines ; R., Sc. C. Chaplin ; Ph. Rolland Totheroh, William Foster ; Pr. Mutual ; Int. C. Chaplin (le vagabond policeman), Edna Purviance (la jeune paroissienne), Albert Austin (le pasteur), Eric Campbell (le caïd), Henri Bergman (un riverain). 

   Le vagabond Charlot assiste par hasard à un culte dominical où le pasteur et une charitable et gracieuse organiste lui prodiguent des consolations. Édifié, il restitue le produit de la quête subtilisé par habitude puis n'hésite pas à s'engager dans la police. Le malabar qui terrorise le quartier est insensible à la matraque mais la nouvelle recrue parvient à le maîtriser en l'asphyxiant à l'aide d'un bec de gaz. Charlot rencontre la charmante dévote qui le convie à une visite de bienfaisance dans une famille nombreuse. Pendant qu'il félicite le chétif papa dont la performance génésique le laisse pantois, les bruits d'une lutte dans l'immeuble parviennent aux oreilles du policier.
   C'est le gros méchant qui, évadé du commissariat, est en scène de ménage. Charlot intervient puis s'enfuit dans la rue talonné par l'irascible poids-lourd. Il réussit cependant à remonter en douce et, par la fenêtre, lâche un fourneau sur le crâne épais en contrebas. Ayant repris son service, il est assommé par derrière par les malfrats du quartier et jeté dans une cave où la pudeur de la gracieuse paroissienne enlevée entre-temps est menacée par un toxicomane. Charlot, hyperexcité par la drogue inoculée en s'asseyant par mégarde sur la seringue dressée, lui porte secours puis va casser la figure à ses geôliers. Il est maintenant respecté et tout le quartier endimanché se rend à l'église, y compris le costaud qui le salue avec déférence. Le digne citoyen va lui-même assister au culte au bras de sa conquête.

   Le fantasme
(1) de base relève du récit initiatique. Le vagabond, dont la marginalité correspond à la phase présociale, doit vaincre en lui l'enfance pour accéder à la maturité sexuelle.
   Nimbée de lumière à l'église, la jeune fille est en effet initialement présentée comme
inaccessible. Pour l'avoir il faut vaincre le père terrible incarné par la Terreur du quartier. L'épreuve accomplie, Charlot est apte à l'amour, et l'environnement présocial devient social, jusqu'aux sourcils diaboliques du méchant qui affectent une forme angélique.
   L'univers de la petite enfance s'associe au héros. À l'église une femme lui confie un moment son bébé. Charlot se révèle aussi infantile que celui-ci, tenant d'abord le texte liturgique à l'envers puis le donnant à
lire au nourrisson. Prenant à la lettre la métaphore du poussin, il distribue des graines aux petits lors d'une visite de charité à une famille nombreuse. Dans ce monde de l'enfance, le simulacre remplace l'action : avant d'attaquer, le gros dur plie un réverbère pour impressionner l'adversaire puis prend la pose de l'hercule de foire face au public, que Charlot adoptera lui aussi.
   Mais par le travail symbolique
(2) touchant au monde intérieur archaïque, on remonte jusqu'à la naissance et même au-delà. Une femme prise de malaise et secourue avec l'aide de la paroissienne, fait figure de femme enceinte, son tablier étant bourré de nourriture volée par le secourable vagabond en uniforme. La cave à laquelle on peut accéder à la fois par le sous-sol et par un regard du trottoir est une variante des nombreuses figures utérines de tout l'œuvre (la cabane de La Ruée vers l'or par ex.). Notons les deux issues, correspondant à la bouche et à l'anus, qui est l'orifice génital de la théorie sexuelle infantile. À l'intérieur plusieurs bébés attendent leur tour, toujours conformément à la même théorie (voir aussi Charlot fait une cure). L'effet de la drogue évoque à la fois l'ivresse du nourrisson repu et un retrempage roboratif dans l'amnios maternel.
   La tentation de retourner à l'état fœtal est également une constante ici concrétisée par le
regard d'égout béant où Charlot manque retomber en se précipitant dans les bras de sa bien-aimée, ce qui souligne maintenant l'opposition entre les deux options.
   Au total, ce court-métrage semble cependant hésiter entre le slapstick et le burlesque de maturité. Le slapstick est constitué essentiellement de gags sans autre ambition que farcesque. Le burlesque chaplinien est enraciné dans une expérience fondamentale comportant une dimension tragique.
Charlot Policeman est à la fois bourré de trouvailles qui sont des gags indépendants, et sous-tendu par un puissant fantasme de base.
   Les deux aspects ne vont pas sans se contrarier. Du
Kid aux Temps modernes, les chefs-d'œuvre de Chaplin ont su éviter l'excès de farce en faveur de l'art. 16/04/05 Retour titre