CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Michael CURTIZ
Liste auteurs

Casablanca USA VO N&B 1943 102’ ; R. M. Curtiz ; Sc. Julius J. Epstein, Philip G. Epstein et Howard Koch d’après la pièce : « Everybody Comes to Rick’s » de Murray Burnette et Joan Alison ; Ph. Arthur Edeson ; Déc. Carl Jules Weyl ; Mont. Owen Marks ; M. Max Steiner ; Pr. Warner (Hal B. Wallis) ; Int. Humphrey Bogart (Richard “Rick” Blaine), Ingrid Bergman (Ilsa Lund/Laszlo), Paul Henreid (Victor Laszlo), Claude Rains (capitaine Louis Renault), Conrad Veidt (major Heinrich Strasser), Sydney Greenstreet (Ferrari), Peter Lorre (Ugarte), Marcel Dalio (le croupier, comme dans Shanghaï gesture, 1941). 

   Au son d’une composition ad hoc made in Hollywood, défile le générique sur fond de carte d’Afrique.

   En 1941
sous Vichy, Casablanca est l’étape obligée des réfugiés fuyant le nazisme avant l’embarquement à Lisbonne pour les États-Unis, qu'atteindront seuls ceux suffisamment fortunés ou importants pour obtenir un visa auprès du préfet de police Louis Renault. Lequel, outre les pots-de-vin, accepte volontiers le payement en nature de toute jolie transfuges. Le cosmopolitisme, l’opportunisme politique, la corruption, le trafic de faux-papiers, mais aussi la Résistance, au sein d’un exotisme composite franco-afro-oriental, représentent pour le spectateur américain un fascinant monde trouble constituant la clientèle du Café Américain, cabaret-casino en vogue tenu par Rick Blaine : exilé dur à cuir peu loquace, ancien partisan des opprimés d’Europe, tenant d’une poigne de fer un établissement difficile, non sans
s'assurer la bienveillance du préfet de police en le laissant gagner à la roulette.
   Celui-ci avertit Blaine que Victor Lazslo, grand résistant tchèque évadé des camps de concentration, tout juste débarqué à Casablanca, ne doit pas quitter le pays. Blaine parie vingt mille francs, puis transige à dix, qu’il y parviendra. Deux agents allemands porteurs de sauf-conduits sont assassinés. Renault soupçonnant l’aventurier Ugarte s’arrange pour, en public, l’arrêter devant le dignitaire nazi Strasser au Café Américain. Auparavant Ugarte, en effet coupable, a pu confier les sauf-conduits à Blaine. En quête du trafiquant dans le but d'acquérir ces documents, Lazslo paraît au cabaret accompagné d’Ilsa Lund, jeune beauté que Rick avait aimée à Paris mais qui l’avait plaqué sans explication. Rick est bouleversé.
   Lazslo refuse à Strasser, qui lui a annoncé la mort d’Ugarte, d’échanger les noms de la résistance contre un visa. Mais il apprend que les sauf-conduits sont aux mains de Blaine, lequel les lui refuse à cause, dit-il, d’Ilsa. Plus tard, celle-ci vient expliquer à Rick qu’elle ne l’a pas trahi, que Lazslo, en réalité son mari alors déclaré mort, avait refait surface, qu'elle devait s'occuper de lui. Puis déclare l'aimer toujours lui, Rick, et ne pouvoir plus désormais le quitter. Entre-temps Lazslo est arrêté pour participation à une réunion clandestine, ce qui est insuffisant pour le garder. Blaine suggère à Renault de l'envoyer en camp de concentration : il suffira de le surprendre en possession des sauf-conduits pour l’accuser de complicité dans le meurtre des agents allemands. Ainsi il pourra le remplacer auprès d'Ilsa dans l’avion. C’était une ruse : au dernier moment, Rick s’interpose et, braquant son arme sur le capitaine, fait embarquer les Lazslo pour Lisbonne. Pour ce faire il est amené à abattre Strasser. Renault ferme les yeux. Rick lui rappelle qu’il a perdu son pari. Conclusion fameuse : « C’est le début d’une magnifique amitié ».

   Tout repose par conséquent sur les bons sentiments. Présenté de prime abord comme personnage inflexible et cynique, en accord avec l’image de l’acteur (Galerie des Bobines), Rick se révèle au contraire sensible et généreux, soutient les opprimés, porte une amitié un brin paternaliste au pianiste noir, et laisse gagner à la roulette à ses frais un réfugié bulgare dont la jeune épouse avait requis son aide après être inutilement passée à la casserole préfectorale. Beau geste du patron qui émeut ostensiblement le personnel, par un grossier procédé destiné à éveiller le même sentiment chez le spectateur, qui oublie du coup que ce n'est à l'évidence qu'un jeu de vases communiquants : "beau geste de filou" serait plus exact. Quoi qu'il en soit, il sacrifie surtout, pour la bonne cause, l’offrande que lui fait de sa personne une merveilleuse beauté, actrice mythique par surcroît (Ingrid Bergman : Galerie des Bobines), prêt-à-porter sentimental dispensant le réalisateur d'avoir de l'imagination.
   Par un ultime retournement, le capitaine jusqu’ici cynique petit potentat vichyssois, dévoile de même sa nature véritable, en envoyant d’un coup de pied valdinguer la bouteille d'eau de Vichy dans une corbeille. Tout cela en faveur de la propagande pour la Résistance en pleine guerre mondiale. Pour convaincre Ilsa de partir avec son mari, Rick lui laisse entendre avoir lui-même une mission à accomplir (il a vendu sa boîte) tout en affirmant que celle de Lazslo a besoin de son concours à elle.
   Le spectateur peut donc s’identifier à des valeurs positives : sans parler de Bogart, l’héroïsme se lisant sur le visage ouvert de Paul Henreid ; l’amour, magnifié par la belle photographie de la star Bergman dont les yeux humides brillent des mille feux de l’émotion glamour : en rapport avec la rengaine sentimentale "As Time Goes by", associée à l'époque heureuse des amants, jouée et rejouée par Sam, et que reprend à propos l'orchestre "de fosse".  
   Bons sentiments favorisés par le pittoresque faussement inquiétant du contexte, d’autant plus inoffensif que de toc sont décors et lumière, que le récit est entrelardé d'attractions de cabaret et que, porté par un dialogue spirituel, le drame s’enlève avec brio. Tout est légèreté dans ce film, qui fait ses condescendants délices de l’accent français, une des attractions très prisées du cinéma hollywoodien d’alors. Et pour qui n'aurait pas les moyens de comprendre, le commentaire musical pléonastique y supplée. Sans méconnaître le mérite de Curtiz d’avoir su d’un scénario notoirement incomplet démêler tous les fils de l’écheveau compliqué qui se révélait au fur et à mesure du tournage.
   Serait-il néanmoins permis de préférer à l'étouffant imbroglio continental, aussi brillant soit-il, le souffle de grand large de la période Errol Flynn ? 20/10/08
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