CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE



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Marco BELLOCCHIO
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Buongiorno, Notte It. VO 2003 105' ; R. et Sc. M. Bellocchio, d'après le livre de Laura Braghetti et Paola Tavella ; Ph. Pasquale Mari ; M. Riccardo Giagni, Pink Floyd, Franz Schubert ; Pr. Marco Bellocchio et Serge Pelone/Filmalbatros, Rai-Cinema ; Int. Maya Sansa (Chiara), Luigi Lo Cascio (Mariano), Pier Giorgio Bellocchio (Ernesto), Giovanni Calcagno (Primo), Paolo Briguglia (Enzo), Roberto Herlitzka (Aldo Moro). 

   Aldo Moro est retrouvé assassiné le 9 mai 1978 après avoir été, le 16 mars, enlevé par les Brigades Rouges. Le film retrace la séquestration à l'intérieur d'une cache aménagée dans un appartement romain loué par un faux couple marié. Le regard de Chiara, l'épouse improvisée, imprime à ce cruel épisode de l'histoire d'Italie un caractère d'humanité, point de vue déterminé cependant qui est peut-être une faiblesse dans un film qui se voudrait globalement dépasser la représentation des idées donc de l'identification au personnage à laquelle le spectateur est invité.

   Le montage se joue sur plusieurs registres : huis-clos de la vie du captif et de ses geôliers. Images de la vie extérieure de Chiara, qui poursuit son travail à la bibliothèque où elle est troublée par un jeune collègue, ou bien participe à une réunion familiale. Inserts subjectifs de souvenirs personnels de la même. Séquences télévisuelles, tant d'actualité, permettant de suivre les effets du rapt dans le monde extérieur, que de divertissement, témoignant d'une insouciance factice qui dramatise davantage l'événement. Images d'archive en noir et blanc de la Révolution russe ou autres en confrontation avec la présente situation.
  Le contenu même des images de registres différents se recoupe par quelque composante sensible, par exemple la neige de la Russie révolutionnaire que l'on retrouve dans le souvenir intime assez romantique
sous des sapins d'un banc vide recouvert d'une épaisse couche immaculée. Une collègue du bureau admire d'ailleurs le bronzage de sport d'hiver de Chiara, ce qui concrétise de façon inattendue la saison de l'enlèvement. Les gros et très gros plans compassionnels sur le visage de la jeune femme trouvent un écho dans le visage en noir et blanc d'une jeune bolchevique sur une image d'archive.
   Ce montage accentué caractéristique semble être en général chez l'auteur une réponse à la difficulté d'atteindre à une vérité des sentiments. En tant qu'ennemi déclaré des formules, Bellocchio cherche à provoquer le surgissement de l'indicible plutôt que de l'affadir dans une représentation qui prétendrait épuiser le sens dont se poursuit la quête.
   Y contribue le contraste entre l'intérieur sombre et cadré serré et l'extérieur où circulent librement air et lumière, n'excluant pas la pluie baigneuse d'âme de l'évasion de Moro rêvée par Chiara.
   L'appartement au rez-de-chaussée figure en soi une véritable forteresse, dont les ouvertures sont protégées par de robustes grilles mobiles doublées d'épais volets roulants extérieurs. Ce qui ne parvient pourtant pas à l'isoler totalement des contingences du monde extérieur : un prêtre assisté d'un enfant de chœur vient bénir l'appartement, une voisine dépose le temps d'une course son bébé, cadré significativement au premier plan pendant que l'on amène l'armoire contenant la victime.
   Davantage, les brigadistes n'ont pas su renoncer aux réflexes émanant de la société qu'ils condamnent, comme le montre le signe de croix inaugural des repas. Contradiction qui émerge dans les débats idéologiques entre prisonnier et geôliers, ces derniers mêlant au dogmatisme mortifère, des propos humains inspirés de leur vie intime. Ce qu'illustre sensoriellement le labyrinthe physique imposé par le chausse-trape de la cache.
   L'alternance et le parallélisme de montage associés au cadrage font donc s'entre-miroiter les facettes de fragments d'un univers comme d'un kaléidoscope temporalisé. Mais le plus prégnant est dans l'esquisse d'une idylle parallèle avec le collègue de bureau, qui écrit un scénario intitulé
Buongiorno, Notte, devinant sans la nommer le pathétique conflit intérieur de Chiara. Ardent sympathisant des BR, il est finalement arrêté. Mise en abyme qui, irradiant tout le film, prend force de manifester l'amour profond qui unit les deux jeunes gens presque à leur insu.
   C'est donc l'interaction imaginaire entre des données rendues indépendantes qui donne au film sa véritable respiration artistique, et il est heureux à cet égard qu'il se termine par un plan imaginaire de l'évasion d'Aldo Moro.
   Ce contre quoi va résolument la permanente surindication du parcours intérieur de Chiara. Au contraire d'Aldo Moro dont le sensible visage ouvre sur l'univers spirituel du film sans intervention conclusive, le personnage de Chiara est une figure narrative assez forte pour compromettre le libre jeu du dispositif. Alors que, déniant toute progression dramatique, le dernier plan s'interdit de conclure tout en laissant une troublante lueur d'espérance, le pathos musical ne cesse de souligner en crescendo jusqu'à l'hystérie l'évolution du drame individuel de l'héroïne, dans un film dont la conception générale excluait toute notion d'individu saillant. Le fait par exemple du rapprochement établi par Chiara entre les BR et les fascistes paralyse le jeu entre de multiples tendances dont les collisions représentent la véritable essence humaine.
   En un mot, quelque émouvant qu'il puisse être, le personnage sous-tend une ligne de démonstration contraire à l'art, réfractaire, lui, à toute directivité. Par conséquent, un principe anthropomorphique inhibe le système d'écriture censé reposer sur la dynamique d'unités élémentaires beaucoup plus fines. Or le dévoilement brut de l'humanité en tant que fondamentalement déchirée est un préalable à toute réévaluation nécessaire au dépassement des conflits, lequel ne peut s'opérer que dans la conscience même du spectateur, dès lors sensible à des perspectives autres. 4/12/06 
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