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Bonjour (Ohayo) Jap. VO couleur 1959 90' ; R. Y. Ozu ; Sc. Y. Ozu, Kogo Noda ; Ph. Yuharu Atsuta ; M. Toshiro Mayuzumi ; Int. Chishū Ryū (Keitaro Hayashi, le père), Kuniko Miyake (Tamiko, la mère, trésorière de l'association féminine), Koji Shidara (Minoru, fils aîné), Masahiko Shimazu (Isamu, fils cadet), Keiji Sata (le professeur d'anglais), Yoshito Kuga (Setsuko), Haruko Sugimura (la présidente de l'association féminine), Eiko Miyoshi (sa vieille mère), Kyoko Izumi (la femme excentrique), Eijiro Tono (M. Tomizawa), Teruto Nagaoka (son épouse).
Dans un quartier de modeste banlieue, la vie est quasiment communautaire : quand ils ne sont pas à l'école ou ne se livrent pas à des exercices de pétomanie, les enfants sont devant la télé chez un couple voisin d'excentriques puis sont rappelés à l'ordre par les parents. Les commères organisent les alliances et les mésalliances du jour. Vivant davantage à l'extérieur, les hommes paraissent pour admonester la progéniture, à moins qu'après détour au bistrot ils ne rentrent éméchés.
Au sein du complexe social se distingue la famille Hayashi, composée des deux frères Minoru et Isamu, de leurs parents et de leur tante Setsuko. Les garçons, exigeant une nourriture meilleure et une télé se révoltent contre leur mère. Grondé par son père après le travail, Minori, citant des formules qui règlent l'échange social ordinaire, rétorque que les adultes ne connaissent que des paroles creuses. Le père lui ordonne de la boucler. Les deux frères font alors une grève de la parole, étendue jusqu'à l'école et chez le professeur d'anglais.
Setsuko se rend fréquemment chez ce dernier pour lui apporter des traductions qui l'aident à vivre. La femme excentrique y fait également une apparition pour l'aguicher en vain. Partageant son logement, la sœur du jeune homme, informée de la révolte des enfants, glissera qu'il n'est guère mieux que les autres adultes en fait de paroles creuses et ferait mieux de se déclarer auprès de la tante des enfants.
Entre-temps, les commères ne chôment pas. La présidente de l'association des femmes a été accusée d'avoir empoché les cotisations pour payer son lave-linge. Elle se rabat sur Mme Hayashi, la trésorière. C'était en fait la mère de la présidente qui avait oublié de les transmettre. La présidente est lavée de ses péchés imaginaires. Mais comme Minoru et Isamu ne disent pas bonjour, leur mère est soupçonnée d'être rancunière. Le bouche à oreille aidant, elle devient suspecte. Cependant Tomizawa, voisin retraité qui ne parvient pas à joindre les deux bouts et avec qui le père des garçons a fraternisé au bistrot, a trouvé du travail dans l'électroménager. Par amitié on lui commande une télé. Les garçons retrouvent la parole et saluent à nouveau les voisins. Pour avoir pris la défense de Mme Hayashi cependant, Mme Tomizawa est maintenant la cible des voisines qui se demandent (avec raison) si elle n'y a pas vu quelque intérêt personnel. Finalement, Setsuko rencontre le professeur d'anglais sur le quai de la gare. Ils échangent les banalités d'usage, comme de bien entendu.
On y trouve donc tous les éléments d'une comédie sociale haute en couleur et quelque peu inspirée de Jacques Tati à en juger par la musique qui rappelle celle de Mon oncle (1958). Mais il y a des caractéristiques qui n'appartiennent qu'à Ozu : direction d'acteurs et jeux sur l'espace. Les enfants sont irrésistibles, et les adultes ont une retenue laissant place aux plus subtiles nuances. Mais la caméra a un rôle primordial. En variant légèrement l'angle et la grosseur dans les champs-contrechamps, elle met discrètement l'accent sur les Hayashi. Dans une conversation avec la présidente, le plan sur la trésorière est en très légère contre-plongée et le cadre, frontal, un peu plus serré.
C'est donc un film de groupe, dans lequel les protagonistes sont immergés tout en étant accentués sans être mis en vedette. L'espace est un système fondamentalement ludique à trois dimensions. Dans un plan d'ensemble itératif et ponctuatif, la rue principale cadrée en enfilade est orientée légèrement de biais de droite à gauche en allant vers le fond, barré par un haut remblai supportant la route qui mène à la ville. Les passages transversaux des personnages dans les deux sens sont étagés en profondeur de champ : premier plan et deuxième plan entre les maisons, au fond à la base du remblai et à l'arrière-plan au sommet du même culminant au-dessus des toits tout en laissant une bande libre entre la crête et le bord supérieur du cadre. Ce mouvement organisé dessine véritablement l'espace en lui conférant le relief que n'a pas naturellement l'image. L'occupation en hauteur par ailleurs permet de transgresser la représentation scénique ordonnée à la loi de la pesanteur et à la logique newtonienne. Globalement, comme un jeu de patience, l'espace bidimensionnel du cadre est entièrement composé (espace "quadratique", voir glossaire). Mais le champ est développé en volume comme un jeu de construction par un complexe système d'emboîtement qui utilise les structures de l'habitat, les portes coulissantes qui les séparent jouant de l'ambiguïté entre la porte diégétique et le volet de raccord. Pour circuler on passe d'un plan à l'autre en changeant de lieu.
Le système des unités habitables cependant ne coïncide pas avec les coordonnées du montage. Elles constituent un labyrinthe générant un véritable imaginaire de l'espace. Il en résulte que l'humour et la satire comme paroles décalées, loin de se cantonner au scénario, s'incarnent véritablement dans le traitement de l'image. Globalement, il s'agit surtout de méthode artistique dans ce film, qu'on pourrait caractériser comme art du plein. Il n'y a jamais de vide. Tout y est minutieusement fonctionnel. Les rôles des personnages se coupent et se recoupent incessamment par une obsession maniaque de l'économie. 8/08/04 Retour titres