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Joe MAY
Liste auteurs
Asphalte (Asphalt) N&B Muet 1929 90' ; R. J. May ; Sc. J. May, Fred Mayo, Hans Szekely, Rolf Vanloo ; Ph. Günther Rittau ; Pr. UFA ; Int. Gustav Frölich (brigadier Albert Holk), Betty Amann (Else Kramer), Albert Steinrük (le père Holk), Else Heller (la mère), Hans Adalbert Schlettow (le faux consul, protecteur d'Else).
Le brigadier Albert Holk, qui vit encore chez ses parents dont un père également policier, arrête une jolie voleuse de diamants dans une bijouterie. Elle prétend avoir agi dans le besoin, étant en instance d'expulsion, en fait richement entretenue par un grand voleur international qui se fait passer pour consul. Le gentil fonctionnaire se laisse convaincre de passer par chez elle pour se munir de papiers avant le commissariat. Il s'y fait littéralement violer. Le lendemain Else fait porter chez Albert, accompagnée d'une boite de cigares, sa carte d'identité oubliée dans la fièvre. Il va chez elle pour rendre le cadeau, ce qui ne fait que ranimer le désordre des sens. Voleuse ne signifie pas mauvaise. Le mot mariage est prononcé. Else détrompe le naïf en étalant son opulence. Il fait mine de partir. Elle s'accroche. Survient l'amant en titre. Il perd la vie dans la lutte qui s'ensuit. Albert se dénonce à ses parents. Le père revêt son uniforme pour emmener le fils au commissariat car "la loi, c'est la loi". Surviennent la mère avec Else pour témoigner de la légitime défense. C'est la jeune femme qui est inculpée et incarcérée. Dernier mot : "Je t'attendrai mon amour".
Le bitumage d'une rue au prologue proclame haut et fort la mort de l'expressionnisme en faveur de la Neue Sachlichkeit "nouvelle objectivité", le néoréalisme allemand, même si des traces en subsistent tels que les excès d'angle et de surimpression, le jeu outré de la mère, ou les décors fabriqués, fussent-ils plus vrais que vrais. Ceci avec l'appoint d'un zest de Kammerspiel dans la notation des détails du foyer Holk. Mais comme le meilleur du futur néoréalisme italien, l'objectivité ne va pas sans une médiation sensible. Voire, il n'y a guère ici de vraiment réaliste ou plutôt naturaliste, qu'un simulacre multipliant les points de vue de la vie urbaine avec sa foule et ses voleurs (dont les gestes semblent préfigurer Pickpocket), l'essentiel étant dans les procédés d'une intrigue des plus conventionnelles : petit flic vertueux précipité dans le monde du crime à la suite de son dépucelage par une femme fatale se sacrifiant par amour. Énorme cliché qui se dépasse en tant que tel par la subtilité de la réalisation.
Subtilité au niveau thématique : L'accessoire en dit souvent beaucoup plus long que l'action proprement dite. Voyez le parcours du cigare, attribut du père et du protecteur d'Else, en bref, de l'Homme. Lors du casse du consul à Paris on voit un représentant de l'ordre fumer un cigare pendant sa ronde. Else en offre une boite entière à celui qui a assouvi son désir. Le jeune homme décline : il ne se sent pas encore digne. Mais quand il rentre tard, le père, qui ne s'y est pas trompé, l'observe à travers ses cils, puis lui plante un cigare entre les lèvres.
Par la même vertu du détail le portrait du jeune brigadier s'enrichit en douce d'éléments qui en font un personnage trop tendre pour le métier. En témoigne le gros nounours de travers qu'il remet en place dans une voiture découverte après en avoir verbalisé la conductrice. Albert ira jusqu'à prêter son mouchoir à sa prisonnière en larmes (de crocodile), puis à lui servir chez elle un cognac pour la remonter.
Subtilité dans une direction d'acteur sans faille. Les plus petites inflexions de la chair épargnent les cartons. Sur le visage du flicaillon toutes les fines variations de la lutte entre le devoir et le désir. Prunelles portées ostensiblement ailleurs pour cacher des pensées coupables. Ou léger détournement avec battements de cils succédant au regard d'amour direct marqué d'étonnement ingénu. Tandis que les grands yeux tombants de Betty Amann sont mis à profit pour exprimer le pathétique d'un cataclysme affectif mettant en question l'instrumentalisation de sa beauté. La prise de vue subjective indique la naissance du désir dès le taxi en route pour le commissariat. "Je serai à la rue demain" pleurniche la riche filoute. Son gardien se tourne vers elle, assise à ses côtés hors champ, et bat des cils, visiblement troublé. La lumière des réverbères croisés clignote dans l'habitacle, témoignant du mouvement de la voiture. Contrechamp du profil de la jeune beauté éclairé avant de retourner dans l'ombre. Un peu plus tard, le poste de police pourtant atteint, il a consenti au détour pour les papiers, jeu symétrique : c'est elle qui se tourne vers le bord du cadre au-delà duquel il se tient, son profil à lui apparaissant un instant éclairé au plan suivant. Puis, l'œil en coulisse, elle se poudre en douce le visage.
Subtilité de la caméra, avec l'appoint de l'éclairage, qui s'emploie à isoler la pointe synecdochique qui est comme le levier d'un vaste mouvement d'âme. Elle vient cadrer le battement du parapluie contre la jambe du flic, puis le manche sur la joue pour finir par les pieds qui successivement expriment par certains remuements le désarroi dans l'attente de la prévenue censée rassembler ses papiers. Ceci aussi bien par un plan-épaules lorsque le mouvement du haut du corps traduit un changement de la jambe d'appui hors-champ. La caméra se fait aussi fine psychologue dans les champs-contrechamps entre ces amoureux à varier grosseur, angle et éclairage pour caractériser les rôles. Par ex. gros plan de Else un peu plus proche et en légère contre-plongée face à Albert en gros plan un peu plus lointain et en légère plongée. Elle est bien l'initiatrice de ce jeune homme encore dans les jupes de sa mère. Comme quoi, mais on le savait déjà, le refus de l'effet ostensible ne peut que profiter à l'épanouissement de la filmicité. 20/02/19 Retour titre