CINÉMATOGRAPHE 

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Howard HAWKS
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La Captive aux yeux clairs (The Big Sky) USA VO 1952 122' ; R. H. Hawks ; Sc. Dudley Nichols d'après le roman de A.B. Guthrie Jr. ; Ph. Russell Harlan ; M. Dimitri Tiomkin ; P. RKO/Hawks ; Int. Kirk Douglas (Jim Deakins), Dewey Martin (Boone Caudell), Elizabeth Threatt (Teal Eye), Arthur Hunnicutt (Zeb), Buddy Baer (Romaine), Steven Geray (Jourdonnais), Hank Worden ("Poor Devil"), Jim Davis (Streak), Henri Letondal (Labadie), Robert Hunter (Chouquette), Both Colman (Pascal).

   Kentucky, 1832, deux amis de hasard, Jim (Kirk Douglas :
Galerie des Bobines) et Boone, ce dernier accompagné de son oncle Zeb, remontent le Missouri vers des terres inconnues sur un voilier que manœuvre un équipage français, afin d'établir des relations commerciales avec les Pieds-Noirs. Ils sont munis d'un précieux laissez-passer : Teal Eye, une princesse pied-noir que le capitaine, qui l'a sauvée, entend échanger contre sa protection.
   La Compagnie des Fourrures tente en vain par tous les moyens de leur faire échec. Après maintes péripéties, alors qu'en vue des terres pieds-noirs le bateau est échoué au milieu des rapides, les guerriers déboulent à la rescousse envoyés par la princesse, auparavant disparue afin de rejoindre sa tribu par ses propres moyens. C'est elle qui les accueille au camp, élevant Jim au rang de frère et admettant Boone dans sa couche, ce qui revient aux épousailles. Il lui est pourtant loisible de repartir avec ses compagnons contre un présent au père. Il y sacrifie son fusil, puis se ravise en chemin et regagne à pied la tente nuptiale.

   Les commentateurs soulignent des qualités hors-pair, reposant sur les performances d'un truculent dialogue, les multiples rebondissements d'une intrigue couronnée par un dénouement heureux, des yeux clairs dans une face basanée (vénéneux
fantasme d'alliance matrimoniale contre-nature, cf. Duel au soleil) surmontant un gracieux corps de princesse au sein d'une distribution assez coûteuse, l'aimable participation active et permanente, servie par une impeccable photographie, du fleuve Missouri déroulant son grandiose décor. Ajoutons : une "fosse" aussi discrète que possible, malgré les ordinaires rengaines prêtant main-forte à une action suffisamment explicite par elle-même.
   Cependant le film en tant que tel n'offrant, selon moi, aucune surprise proprement filmique, ce qui importe surtout est le fantasme
(1) de base qui l'inspire et lui insuffle une puissance épique, dont rend mieux compte le titre original, The Big Sky. La remontée du fleuve est une quête pourvue des figures ordinaires au conte : l'Objet, le Sujet (le héros), les Adjuvants (ceux qui facilitent la quête) et les Opposants. L'objet manifeste est la princesse indienne, mais il recouvre d'autres enjeux liés à la conquête du continent comme épopée des origines.
   La fondation est ainsi assurée sur une base mythique. Le Sujet se dédouble en deux personnages qui deviendront le frère et l'époux de l'Objet, clivage entre alliance et sexualité, se reportant sur la personne divinisée de Tile Eye, épouse et vierge à la fois par une combinaison oxymorique agréable au mythe. Sa profanation est punie de mort, et le pauvre Chouquette, fouetté pour l'avoir tenue de trop près, ne s'en tire pas à si bon compte : la seule flèche mortelle tirée du rivage lui était à coup sûr par les Esprits destinée. La valeur fondamentale de l'objet est en outre soulignée par la richesse de la constellation des comparses :
   Adjuvants et Opposants sont chacun dotés d'un mentor. Celui des Opposants n'est pas la Compagnie des Fourrures, mais, Streak, dont le nom désigne en anglais la
houppe grisonnante - enviable scalp selon l'Indien Poor Devil, une figure filmique consacrée du pouvoir maléfique. Figure de proue des Adjuvants, l'oncle Zeb campe de ces inévitables vieux sages à pipe, imperturbables dans la tourmente et dont chacun prend conseil. La qualité de parent par collatéralité est d'importance à cet égard, oncle ou tante représentant une ascendance moins tabouée que celle des géniteurs.
   Le groupe adjuvant se compose également de puissants et fidèles auxiliaires, les Français, dont la position subalterne est soulignée par le parler ridicule et le pittoresque bon enfant. En conséquence, la puissance physique dérogatoire de
Romaine est domptée. Le géant accomplit en silence toutes les tâches assignées, qu'elles soient en rapport ou non avec sa force musculaire. Il s'assimile à la chère Bête des contes de fées. Il y a enfin le rôle du bouffon assuré par Poor Devil, dont les jambes arquées, la bouche édentée et le rire niais ont un effet dédramatisant, valorisant le courage des aventuriers. C'est surtout un intercesseur en tant que frère des Indiens, dont la puissante figure tient de l'Adjuvant et de l'Objet à la fois.
   Forte cohérence secrète donc, qui permet au récit ce régime primesautier, l'anecdote s'inscrivant toujours dans le flux énergique sous-jacent. En bref, Hawks met essentiellement son savoir-faire de cinéaste au service d'incontestables talents de conteur. 19/12/04
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