CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Anthony MANN
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Winchester 73 USA VO N&B 1950 86' ; R. Anthony Mann ; Sc. Borden Chase, Robert L. Richards d’après une histoire de Struart N. Lake ; Ph. William Daniels ; M. Joseph Gershenson ; Pr. Universal ; Int. James Stewart (Lin McAdam), Shelley Winters (Lola Manners), Dan Duryea (Waco Johnny Dean), Stephe McNally (Dutch Henry Brown), Millard Mitchell (High-Spade), Charles Drake (Steve Miller), John McIntire (Joe Lamont), Jay C. Flippen (sergent Wilkes), Rock Hudson (Young Bull), Will Geer (Wyatt Earp), Abner Biberman (Latigo Means), Tony Curtis (Doan).

   1876. Lin McAdam gagne une légendaire Winchester 73 au concours de tir de Dodge City. Dutch Henry Brown, le finaliste battu, s’en empare par la violence. Il s’agit de l’individu que Lin, assisté de son ami High-Spade, pourchassait inlassablement. La carabine ne cessera de passer de main en main pour finir entre celles de son propriétaire légitime : Dutch la perd au jeu contre Joe Lamont, un trafiquant d’armes, scalpé par la volonté du chef indien qui la convoitait, lequel abattu par Lin lors de l’attaque du campement de la Cavalerie la laisse aux mains du sergent Wilkes. Lin étant déjà loin, le militaire l’offre à Steve pour protéger Lola, sa fiancée, avec laquelle il avait débarqué au campement afin d'échapper aux Indiens à leurs trousses.
   Cependant, Steve est descendu par Waco, fréquentation peu recommandable, qui s’approprie l’
utile objet auquel est joint l’agréable de la femme. Le bandit Waco va retrouver son associé qui s’avère être Dutch. Celui-ci réclame et obtient ce qu’il estime être son bien, lui laissant toutefois la femme. Lors d'un braquage de banque, ils tombent sur Lin, qui abat Waco et poursuit Dutch sur la roche escarpée pendant que High-Spade explique à Lola que Lin entend venger son père, tué dans le dos par son frère… Dutch. Il revient en effet seul, avec la carabine. Dès le départ attirée, Lola tombe dans les bras du héros. A lui la carabine, avec la femme !

   C’est donc tout à fait immoral : la véritable vedette est la carabine, engin mortifère admiré et convoité qui, comme la femme significativement, passe de mains en mains, instrument pervers d’une vengeance fratricide en raison d’un parricide. Tout cela pourtant légitimé par l'air faussement innocent du protagoniste (James Stewart, Galerie des Bobines), dont le comportement galant recouvre des aptitudes héroïques.
   Mais c’est un jeu et même un jeu d’écriture, d’autant plus libre quand les valeurs référentielles mises entre parenthèses sont remplacées par des fonctions internes. L’écriture est un système de permutation et d’échange sur la base d’une équivalence des données, jusqu’à déconstruire la catégorisation qui les différencie et les hiérarchise dans la vie quotidienne. Machine aux organes indifférenciés, fût-ce entre animé et inanimé, qui se trouve cependant grippée par les effets de l’admiration que voue incontestablement Mann à Stewart, alors que l’actrice principale même est par le physique et le rôle une anti-star, fonction plutôt qu'icône.
   Car il y a antinomie entre écriture et star-system. La convention du genre comme langage favorise le régime d’écriture dans la mesure où elle ne s’impose pas comme idéologie, qui ajoute aux valeurs référentielles calculées, d'autres, finalisées par une intention extrinsèque, comme celle de vouloir à toute force justifier les rôles : Lola, par exemple, en sauvant courageusement un enfant au prix d’une balle au bras, est promue du statut infamant de chanteuse de cabaret à celui de femme digne d’être épousée par le héros. Surligner les actions va dans ce sens. Ainsi, avant d'être avalé par le gouffre, Dutch lâche-t-il ostensiblement la carabine sur les rochers où Lin n'aura plus qu'à la cueillir.
   Même farine, le commentaire musical paraphrastique : en enfonçant clou voire portes cochères ouvertes, elle suraccentue une donnée de l’intrigue du coup réfractaire aux permutations libres. On sait que la carabine est aux mains du chef indien. Pourtant un travelling vertical bas-haut fait découvrir que la main tenant la précieuse arme est bien celle de Young Bull, travelling accompagné en outre d’un accord de coda pseudo-amérindien à la sauce hollywoodienne : "Titata ! – Titatitata !" Un gamin de cinq ans ayant escaladé un monticule y reconnaîtrait aisément son propre cri de triomphe. À chaque fois qu’elle se manifeste, la musique surcommente ainsi l’action, qu’elle dénature non seulement en la poissant de mickeymousing, mais aussi en la renvoyant comiquement à toutes les actions identiquement accompagnées de la production d'Hollywood.
   De même qu’il importe que le décor ne se détache pas comme performance qu’on admirera pour elle-même, indépendamment des nécessités inhérentes au film.
Ici, les intentions de décor sont souvent excellentes, mais elles se dispersent ou recherchent l'effet pour lui-même. Ainsi, les plans lointains en silhouette de cavaliers gravissant inutilement des collines, indifféremment indiens ou blancs, sont en soi très filmiques, mais ils jurent dans le contexte réaliste, étranger à une telle ampleur lyrique. Ou bien au final, les buissons décharnés au milieu d'un terrain où pullulent bizarrement des cactus géants sont montrés avec trop d'emphase anticipatrice. La meilleure idée est sans doute dans les chevauchées nocturnes silencieuses sous un ciel sombre, aptes à traduire l’avancement d’un farouche mouvement sous-jacent. Hélas elles subissent le contrecoup des extérieurs de studio affligés d’une sonorisation rudimentaire de faune ad hoc, davantage : le défaut de conception unitaire du décor en général, comme l'indique le caractère approximatif des raccords en extérieur.
   Tout cela manque singulièrement d'élégance, c'est-à-dire de liberté.
Globalement, Winchester 73 restât-il un mémorable spécimen du genre, une démarche entachée d'indécision en dévitalise les qualités d’écriture. Le réalisateur n'est pas allé, semble-t-il, au bout de son audacieux dessein. Ce qui se traduit par un manque de rigueur profitant au divertissement de genre plus qu'au 7e art. 22/10/08 Retour titres