CINÉMATOGRAPHE 

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Souleymane CISSE
Liste auteurs

Waati (Le Temps) Mali VO multilingue (bambara, français, etc.) N&B 1995 143' ; R., Sc. S. Cissé ; Ph. Vincenzo Murano, Georgi Rerberg, Jean-Jacques Bouhan ; Pr. S. Cissé ; Int. Lineo Tsolo, Sidi Yaya Cisse, Mary Twala, Eric Meyeni, Nakedi Ribani, Martin LeMaitre, Balla Mossa Keita, Aicha Amerou Mohamed Dicko.

   Vivant avec ses parents en Afrique du Sud, sous l'Apartheid, dans la ferme d'un petit exploitant boer cruel et brutal qui les humilie, la petite Nandi, six ans, chante qu'elle espère avoir un jour une terre à elle à cultiver.
   Premier déchirement : elle est confiée à une tante de la ville pour sa scolarité. Le cheval qui doit l'y conduire refuse de partir. Quelque huit années plus tard, des écoliers manifestent contre l'apprentissage obligatoire de l'afrikaner. L'armée investit l'école. À la maison elle trouve ses parents affamés parce que son père n'ose pas réclamer son salaire. Elle s'en charge. Le patron lâche sur elle un molosse qu'elle arrête du regard. Plus tard elle se promène sur la plage avec son père et son petit frère. Un policier monté leur signifie que c'est interdit aux Noirs. Nandi répond avec insolence. Il les met en état d'arrestation. Son petit frère est abattu en tentant de s'enfuir, le père de même. Elle fait front, arrête du regard le cheval qui se cabre et désarçonne son cavalier. Il perd connaissance. La fillette s'empare de sa carabine et le tue. Fuyant sur la route elle est recueillie par un camionneur qui la cache dans un caisson à outils et la dépose en ville où elle trouvera un passeur pour traverser la frontière. Ayant miraculeusement échappé à la police des frontières et à ses balles, Nandi est prise en charge par une organisation et envoyée par avion en Côte d'Ivoire.
   La misérable petite fugitive y devient une brillante étudiante qui soutient un doctorat. Elle part avec l'homme qu'elle aime pour soulager la misère des petits Touaregs dans le désert du Mali où elle adopte l'orpheline Aïscha, à laquelle elle offre le pendentif de bois  représentant un lion
, sculpté par son père. Après l'Apartheid, elles rentrent en Afrique du Sud. Mais Aïscha, qui n'a pas de visa, est reconduite à l'avion avec brutalité : les manières de l'Apartheid n'ont pas disparu du jour au lendemain. Soudain le temps se suspend et Nandi reprend Aïscha au personnel immobilisé dans la brume sous l'avion prêt au départ. Entonnée peut-être par Aïscha, se fait entendre à la fin la chanson où la petite Nandi exprimait son espoir. 

   L'ambition artistique de ce film est à la mesure de l'abolition des frontières entre les genres et les catégories. La culture des ancêtres y voisine avec les exigences du monde moderne, depuis le militantisme politique jusqu'à l'accès à la culture scientifique.
   Un long plan-séquence aérien sur les terres des origines inaugure le récit en même temps que le conte narré à Nandi par la grand-mère dans la nuit africaine. Il y est question de la puissance du lion qui fut sacré roi par Dieu. Puis quand les hommes prirent le pouvoir, ce fut le règne de la loi du plus fort. La grand-mère, avec laquelle elle ne cessera de correspondre, transmet à la petite-fille les valeurs de son peuple en même temps qu'une injonction morale quant au présent. Elle communique l'impulsion qui place l'odyssée de Nandi sous le signe de la force des femmes.
   Nandi est donc investie de pouvoirs légués par les ancêtres au service de la cause politique. Le périple de Nandi est une métaphore de la construction de l'Afrique future, sans quitter jamais le contact avec les Esprits qui la guide. Au cœur même de l'université elle assiste à une cérémonie nocturne où un sorcier renouvelle son allégeance à un vieux lion qui l'écoute, prononce un grognement, puis s'enfonce dans la nuit sur la demande de l'homme. Puis comme un signe adressé à l'héroïne, une fillette disparaît magiquement dans les flammes du grand feu rituel. En adoptant ensuite une autre fillette, l'héroïne se prépare en effet à transmettre à son tour le flambeau.
   La puissance de l'Afrique, sous la forme de la mer, du vent, des animaux, est intensément interrogée dans de longs plans fixes. La lenteur est à la mesure de l'ampleur des forces en présence. Nous avons affaire ici à un temps ("waati") fondamental, qui n'appartient pas à l'histoire humaine mais à celle d'un continent. Il suggère la patience qui fait la force des hommes sachant concilier l'urgence (le meurtre du policier) avec le mûrissement de l'action (l'odyssée). D'où le titre.
   Une telle ambition exigeait un souffle surhumain, capable d'unifier la diversité des épisodes et des thèmes. Or, passé le chapitre de l'Afrique du Sud avec sa forte unité thématique et dramatique (même si on a pu - à tort selon moi - dénoncer son manichéisme), la deuxième partie paraît décousue. En raison d'une hésitation de style, les épisodes s'en détachent comme des parties indépendantes. Celui du désert est filmé comme un documentaire, alors que l'on avait au départ une forte structure fictionnelles avec une temporalité imaginaire servie par de belles ellipses (ex. Nandi à six ans dessine à l'école, puis au plan suivant à treize ou quatorze ans au même endroit, elle écrit à sa grand-mère). Bien des événements y paraissent alors superflus, alors que dans la première partie tout s'enchaînait avec nécessité. Y compris des séquences (trop) belles par elles-mêmes comme celle de la soutenance de Nandi que métaphorise un spectacle théâtral sur le masque, thème de la thèse. 5/04/03 
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