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CINÉMATOGRAPHE 

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Friedrich Wilhelm MURNAU
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Le Château de Vogeloed (Schloß Vogeloed) All. Muet N&B 1921 80', restauré en 2002 ; R. F.W. Murnau ; Sc. C. Mayer, d'apr. la nouvelle de Rudolf Stratz ; Ph. Fritz A. Wagner et Lásló Schäffer ; Cons. art. Hermann Warm et F. Montgelas ; Int. Arnold Korff (le châtelain), L. Kyser-Korff (la châtelaine), Lotar Mehnert (Le comte Johann Oetsch), Paul Hartmann (son frère), Paul Bildt (le baron Safferstät), Olga Tschechwa (la baronne), Victor Bluetner (le père Faramund), Hermann Vallentin (le juge à la retraite), Julius Falkenstein (le monsieur peureux), Robert Leffler (l'intendant).

   Les maîtres de Vogeloed reçoivent pour la saison de chasse. Débarque le comte Oetsch, qui n'était pas prié étant, bien qu'absous par la justice,
suspecté pour s'accaparer le patrimoine, d'avoir tué son frère dont la veuve, depuis baronne Safferstät par remariage, est incessamment attendue avec le baron. Le châtelain n'ayant pu convaincre le comte de s'effacer, les Safferstät songent à déguerpir sitôt rendus.
   Mais on annonce la venue du père Faramund de Rome, un parent des Oetsch, particulièrement désireux de rencontrer la baronne. Elle se résout à rester, bien que fort troublée à l'idée de cette confrontation. Quelque secret gît là. Dès son arrivée à la nuit tombée elle confesse au prêtre la félicité du mariage jusqu'à ce que le défunt se détache d'elle et du monde au profit de la religion car "le bonheur véritable est dans le renoncement au monde". Résultèrent de sa frustration une soif du mal et la rencontre de Safferstät. Le mari, dit-elle, fut tué à la suite d'une brouille avec son frère à propos de ses prodigalités envers les pauvres... Incapable d'un mot de plus la baronne remet la suite au lendemain. Le père n'insiste pas. À minuit, souffrant de ne s'être pas déchargée elle le fait rappeler, mais il a disparu.
   Le comte, qui était introuvable, survient. Encore considéré
par le juge en retraite coupable du meurtre de son frère, pour sa défense il en charge allusivement le baron. La baronne réplique en lui retournant l'accusation, à la suite de laquelle il s'absente à nouveau, ce qui selon le juge accrédite le fratricide.
   Mais, coup de théâtre, le prêtre reparaît
. La baronne peut enfin se délivrer du secret après s'être assurée que celui de la confession sera respecté : c'est le baron qui a tué son mari, croyant dans sa passion satisfaire le désir de l'aimée, laquelle a accusé Oetsch pour le protéger.  En cas de condamnation du comte
, baron et baronne se seraient empoisonnés. Le prêtre, qui n'est autre que le comte déguisé, rejoint le baron et, se dépouillant devant lui de son déguisement, l'exhorte à agir en homme, avant de lui serrer la main. L'homme se suicide au moment même où le faux-prêtre, lavé maintenant de tout soupçon, se dévoile à l'assistance. Le vrai Faramund arrive enfin le soir même.

   Simple énigme policière sans flic
en apparence, mais traitée comme une œuvre ambitieuse avec l'assistance de conseillers pour le décor, à la mesure de l'enjeu humain, moral, social et même politique. La splendeur du décor et des accessoires est un des facteurs de la crédibilité. La division en cinq actes, qui correspond à un code d'époque, importe moins que les alternances du montage interposant à intervalles des plans d'ensemble extérieurs de l'imposant château pour faire sentir le mystère du déroulement de l'intrigue derrière des murs épais et combien il est lié aux préjugés d'une caste.
   On est tout ensemble à l'intérieur et à l'extérieur. On participe de près tout en observant à distance. Les mêmes données contiennent simultanément le drame et l'enquête. Le comte endosse aussi le rôle du policier qui manque au générique, comme l'indique le lorgnon investigateur suspendu par un cordon à son veston. Et le montage est à la fois finalisé et labyrinthique, ceci par les faux-raccords (par ex. : entrée
gauche-cadre chez le prêtre absent, raccord mouvement dans la chambre par droite-cadre), ou les sorties de champ sans solution de continuité. On se perd dans le hors-champ.
   À plus grande échelle la composition ménage pour la respiration des épisodes comiques
comme l'homme peureux qui jette un œil sous le lit du prêtre disparu puis se barricade dans sa chambre, et un autre aux cuisines où un marmiton trop gourmand est souffleté par le chef, avec variantes à mi-temps sous la forme de deux séquences de rêve concernant les mêmes. Mais il y a surtout le juge à la retraite, expert autoproclamé en criminalistique, le plus acharné contre le comte, et dont le comportement caricatural tranche sur la dignité des autres. Le comique ne constitue-t-il pas une forme d'ironie à l'encontre des préjugés en stigmatisant la lâcheté et la bêtise incarnée dans le Peureux et dans le Marmiton pour rejaillir sur le juge, mais aussi la vertu dévastatrice du frère du comte, véritable déclencheur du drame ? Comportements opposés au courage dans l'inégale
adversité, du comte. Son cynisme, qui s'oppose aussi à l'angélisme morbide du frère, est à la mesure de sa résolution, tout en favorisant par jeu la thèse de sa culpabilité. Il montre la force du personnage mais en renforçant l'énigme du récit qui le rend opaque.
   Le tour de force est d'assumer la fiction tout en la crédibilisant, non seulement par le décor aussi dispendieux (rien de plus réel qu'un budget) qu'authentique, mais encore par la direction d'acteur. L'art consiste à faire du vrai avec le faux sans prétendre censurer ce dernier. Le film est résolument moderne par la douceur de l'éclairage, n'écrasant pas le modelé des visages. Et l'émotion se lit sur tout le corps et non en grimaces et gesticulations, par la saisie des regards et, par recadrage en plan rapproché, celle du rythme respiratoire.
   Le recadrage est un procédé qui permet de passer de l'environnement au corps et réciproquement. Il peut comme élargissement indiquer la pensée d'un personnage. Quand la baronne remet la suite de son récit au lendemain, elle est avec le prêtre en plan serré. Après un laps durant lequel celui-ci prend la main de la jeune femme, suit un recadrage large incluant la porte, ce qui indique que le faux Faramund n'a pas l'intention d'insister, qu'il a déjà décidé de quitter la pièce. Ce qu'il fait. Mais le jeu se poursuit : à l'acte suivant, la sortie (gauche-cadre) est cadrée déjà pendant l'aveu décisif, accélérant le dénouement. Et pourtant le prêtre sort droite-cadre par une porte qui était invisible, pour aller retrouver le baron, ce qui met fortement l'accent sur l'action ultime. 
   Au total le mal n'est pas dans le crime ni dans le mensonge. Le crime est effet de l'amour. Les enfants de la châtelaine dans le parc sont là pour souligner le désir d'enfant de la baronne qui dit son besoin du mal car le "bien" du mariage l'a spoliée de bonheur. Ne lui reste que le mensonge pour limiter les dégâts consécutifs à l'angélisme du mari, qui s'accumulent.
   Le mal véritable est dans le groupe social qui voudrait normaliser l'existence en fonction de ses peurs et préjugés. Le comte apparaît comme le très improbable héros surhumain, celui qui "ne chasse que par temps d'orage", porte-parole idéal du film, capable d'humanité sous des apparences d'indomptable rigueur. C'est pourquoi il sait que le baron et son épouse arrivent avant qu'ils ne soient annoncés, ou peut prédire qu'"une balle sera tirée... peut-être deux". Il construit patiemment son enquête comme le récit qui le porte. Le film affiche bien son propre artifice. Mais aussi sa croyance en un monde meilleur et donc en la figure du justicier, entraînant des valeurs qui n'ont plus guère cours aujourd'hui tel le sens de l'honneur poussé jusqu'au suicide. 15/11/17
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