CINÉMATOGRAPHE 

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Maurice PIALAT
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Nous ne vieillirons pas ensemble Fr. 1972 106' ; R., Sc., M. Pialat, d'après son roman ; Ph. Luciano Tovoli ; Mont. Arlette Langmann ; M. Jean-Claude Vannier, Joseph Haydn ; Pr. Jean-Pierre Rassam ; Int. Jean Yanne (Jean), Marlène Jobert (Catherine), Macha Méril (Françoise), Harry Max (le père de Jean), Christine Fabrega (la mère de Catherine), Muse Dalbray (la grand-mère de Catherine).

   Depuis six ans, Catherine, encore chez ses parents, est la maîtresse de Jean, cinéaste quadragénaire marié avec Françoise. Un adultère tout ce qu'il y a de plus officiel. Mais l'amant est odieux et brutal. Il joue avec les sentiments de la jeune femme en alternant ruptures et réconciliations. Elle finit par se lasser, déclare l'aimer moins puis se décide à le quitter non sans moult tergiversations relevant plus de l'habitude que d'un reste de sentiment. Se découvrant du coup amoureux, Jean est malheureux. Catherine reconnaît l'avoir plus aimé qu'elle n'aimera jamais. Un beau jour elle disparaît. Ses parents restent muets, mais à Françoise qui, ne pouvant supporter la douleur de Jean, fait la démarche, ils avouent que Catherine est sur le point d'en épouser un autre. Le démon qui le torture pousse Jean à revoir encore celle qui le plaque, la dernière fois sans doute, pour entendre de sa bouche qu'elle en aime un autre à qui sa vie est désormais consacrée.

   Sombre tableau de la déchéance d'un amour qui n'a pu se construire, en raison de l'incapacité de l'homme macho au partage, qui supposerait le sens de la dignité de l'autre. La question est de savoir si le film est apte à décoller du naturalisme, ou description pure et simple de ce qui est censé se produire ou s'est produit dans la réalité, reportage simulé donc, dépourvu des ferments d'un questionnement véritable, qui est d'abord dénudation du réel, puis dépassement en spirituel par la poésie du registre constatif.
   Car Pialat entend généralement atteindre à la poésie du vrai sans le recours à une
écriture, c'est-à-dire sans la liberté langagière capable de développer un enjeu émotionnel à partir d'éléments ramenés du registre représentationnel à celui d'opérateurs d'un sens toujours renouvelé. Il y parvient notamment en jouant sur le temps, en s'efforçant de restituer l'effet d'étrangeté qu'a le temps qui passe sur les actes des personnages. Ou par le décalage, voire la contradiction entre le jeu des acteurs et l'enjeu où ils se débattent. Ce qui relève, malgré tout, de la démarche d'écriture. Tout ceci dans des décors véridiques dans leur simplicité et leur adéquation, mais surtout économiques, n'envahissant pas le discours de prétentions expressives.
   Ainsi, l'automobile est un accessoire et un élément de décor commode et vrai jusqu'à paraître insolite selon l'adage "la réalité dépasse la fiction". Car ce qui semble quelque peu exagéré dans le film reste très au-dessous de nos pratiques dans la réalité, où nous n'avons plus conscience du handicap de nos organes locomoteurs. En même temps la figure insistante de la voiture, comme lieu où l'on se retrouve, utile pour passer d'un décor à l'autre, sert le caractère compulsionnel de l'action, lié lui-même à un certain imaginaire de l'écoulement non linéaire du temps. Plus les amants s'éloignent l'un de l'autre, plus ils ont tendance à se rejoindre comme s'ils étaient reliés par un fil élastique dont la force de rappel est proportionnelle à la tension, laquelle à son paroxysme finit par faire péter le lien. Le comportement hyperdynamique du véhicule est en rapport, accentué par la prédominance du plan-séquence.
   Quant aux acteurs, ils crèvent l'écran. Prix d'interprétation masculine pour Yanne à Cannes et, dépouillée de l'infantilisme profond qui fit son succès, Jobert n'a jamais été aussi convaincante. Il en résulte une forte stature des personnages qui, si elle explique le succès commercial du film, absorbe hélas décalages et contradictions. Crevé, l'écran se dégonfle. Le bon regard de chien fidèle au pire de la muflerie de Yanne appartient au personnage en propre, il ne participe pas de l'insolite d'un univers régi par un temps aveugle.
   En bref, le monde diégétique appartient aux personnages plutôt que l'inverse qui en ferait des êtres concrets, soumis à de multiples contraintes extérieures. L'automobile même les abstrait de l'environnement qui leur conférerait une épaisseur. On est donc privé de cette prégnante étrangeté qui est la marque du vrai, au contraire du naturalisme qui n'est qu'adéquation à ce qu'on s'en représente. 30/06/08 Retour titres