CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

  

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Charlie CHAPLIN
Liste auteurs

Une vie de chien (A dog's life) USA Muet N&B 1918 35' ; R., Sc. C. Chaplin ; Ph. Roland Totheroh ; Pr. First National Pictures ; Int. C. Chaplin (le vagabond), Edna Purviance (la chanteuse de cabaret), Henri Bergman, (le vaurien et la grosse dondon), Mut, le chien Scraps.

   
   Écarté du travail par la compétition des ventres-creux, seul au monde, le vagabond doit composer avec la surveillance policière pour se procurer sa pitance par les voies les plus acrobatiques. Sa solitude est rompue par l'adoption d'un toutou par lui sauvé du monde impitoyable des chiens affamés qui en avaient après son os ramassé dans la rue. En creusant dans le terrain vague qui leur tient lieu de gîte vis-à-vis d'un minable garni, luxueux en comparaison, le petit bâtard Scraps déniche en grattant le sol un portefeuille bourré, enseveli après avoir été arraché par deux pickpockets à un fêtard noctambule zigzagant, paumé dans les bas quartiers en plein jour. Le chien (prohibé dans le débit de boisson) dissimulé dans son pantalon sauf la queue en bonne place, l'heureux veinard décide de retourner au cabaret d'où il avait été catapulté faute d'avoir de quoi régler la consommation de l'entraîneuse malgré elle, une petite chanteuse tragique invitée à sa table. Mais, tandis qu'il réinvite la même, alors qu'elle vient d'être congédiée comme piètre aguicheuse, déjà échaffaudant ensemble des projets d'avenir, le portefeuille ouvert en guise de laisser-passer à l'intention du garçon, est intercepté par les deux pickpockets occupant par hasard une autre table. Charlot assommé et dépouillé est refoulé groggy sur le trottoir, suivi par la divette qui prend soin de lui. Aussitôt remis, il se glisse sans être vu à l'intérieur où il parvient à récupérer le précieux objet en assommant par ruse ses détenteurs du moment. S'ensuit une bagarre au cours de laquelle ce dernier échappé est happé au vol par Scraps. L'idylle du couple renfloué se concrétise dans une ferme où l'on découvre en guise de marmots au fond d'un berceau une portée de chiots.

  On retrouve ici la question cruciale au principe tout le burlesque chaplinien, celui de l'abandon social rapporté à la figure de la perte maternelle. Autrement dit le traitement caricatural de la jeune chanteuse tragique déclenchant des flots de larmes chez les consommateurs du cabaret est d'un comique irrésistible tout en constituant l'émergeance d'un enjeu grave. Edna Purviance incarne dans l'œuvre muette de Chaplin l'éternel pôle sérieux nécessaire au plein épanouissement du burlesque, sans quoi on en resterait à la farce. En fait, la seule figure adulte de toute l'équipe, nécessaire à la thématique de l'abandon. Cette fonction se concrétise dans une figure comique assez forte pour être reprise dans deux films majeurs, La ruée vers l'or et Les temps modernes : Charlot en couple tournoyant sur une piste de danse en traînant après lui chien au bout d'une laisse. Pour élucider cette énigme, il faut d'une part admettre l'action de ce que Freud appelle la figurabilité, c'est-à-dire la convertibilité réciproque du mot et de l'image qui lui correspond. D'autre part que le burlesque est en prise avec les expériences précoces de la vie préverbale et prénatale. Si la faim est bien un enjeu crucial de l'œuvre, d'être associée à l'abandon maternel, voire à la séparation physique absolue que constitue la naissance au monde, lui confère une dimension de tragique absolu, condition du plus haut comique, la force comique étant en raison directe de celle du malheur dont le rire nous délivre. Cette laisse serait une métaphore du cordon ombilical, ceci d'autant qu'au cours de la danse elle est confiée à la femme. Un cordon relié à un petit être vivant évoquant par son nom "dog" le "doc" obstréticien. 01/06/25 Retour titre