CINÉMA ARTISTIQUE 

ÉCRITURE


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Orson WELLES
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Le Procès (The Trial) Fr. N&B 1963 120' ; R., Sc. O. Welles d'apr. Kafka ; Ph. Edmond Richard ; Déc. Jean Mandaroux ; Prologue : écran d'épingles d'Alexeieff ; M. Jean Ledru, Albinoni ; Pr. Alexander Salkind/Mercury ; Int. Anthony Perkins (Joseph K.), Jeanne Moreau (Melle Bürstner), Elsa Martinelli (Hilda), Romy Schneider (Leni), Suzanne Flon (Miss Pittl), Madeleine Robinson (Mme Grubach), O. Welles (l'avocat), Akim Tamiroff (Block), Fernand Ledoux (le chef greffier), Maurice Teynac (le sous-directeur), Michael Lonsdale (le prêtre), Arnoldo Foa (l'inspecteur).

    
 
Un matin Joseph K. est réveillé par un flic en civil qui l'informe qu'en état d'arrestation, il n'est laissé en liberté que la durée du procès. Il proteste de son innocence mais ne pourra jamais échapper au rouleau compresseur judiciaire. La chambre de sa voisine, Melle Büstner, est fouillée, puis son occupante chassée. Dans un vaste et labyrinthique bâtiment où il est convoqué, une laveuse lui indique le chemin du tribunal. Il comparaît dans un local gigantesque bourré à craquer de juges et d'un public qui l'applaudit. Bien qu'il affirme pouvoir se défendre seul, son oncle le mène à un avocat de ses amis. Mais il décidera de se passer de ses services, préférant l'appui d'un artiste influent auprès du tribunal, spécialisé dans les portraits de juges. Ce peintre vit dans un galetas enclos de planches disjointes à travers lesquelles guignent des fillettes se livrant à des commentaires excités. Dans une église un prêtre lui annonce que son affaire est mauvaise. Deux hommes se saisissent de K. et le conduisent à travers la ville et des faubourgs tous deux dépeuplés jusqu'à un semi-désert où il est précipité dans un trou. Il refuse de se tuer avec le couteau qu'on lui tend. Les deux policiers y balancent des explosifs. Violente explosion finale.

      
   
PLe roman de Kafka est un chef-d'œuvre, même en traduction. Se développant selon un régime palinodique, où chaque pas en avant de l'action est à chaque fois rétrogradé de deux degrés en arrière, figure même de la mécanique d'un procès illimité qui ne laisse aucune chance à des prévenus dont les dossiers semblent fabriqués de toutes pièces pour que la machine fonctionne. Machine totalitaire qui engage tous les personnages, y compris K., chacun étant finalement un rouage nécessaire dans un univers agencé suivant la logique d'un immense cauchemar. Notre monde, que nous pressentons comme réalité absurde mais méconnue, impossible à représenter, prend sens par des figures précisément de l'impossible, par lesquelles une longue séries d'épreuves consenties en vue d'une issue positive est lettre morte, piétinement sur place. Soudain une porte dérobée s'ouvre sur le tribunal situé censément à l'autre bout de la ville. De ce jeu résulte un formidable humour.
   Or, n'en déplaise à Deleuze et Guattari qui dans leur Kafka proclamaient "l'affinité du génie de Welles avec Kafka" (p. 138), le film commet un contresens fatal en prétendant reconstituer un prétendu univers kafkaïen, gros cliché bien-pensant se prenant au sérieux sur la base d'une imitation servile du livre. Mais que le héros soit appelé Mr. K. comme dans celui-ci, ça n'a pas du tout le même sens. La lettre K. tracée évoque le rapport policier secret. "K" prononcé de sorte que la voyelle de soutien s'institue dans un supposé patronyme Ka est ridicule. Welles, qui n'a pas saisi la différence entre écrit et écran, n'a pas davantage compris le roman, son fondamental dépouillement nécessaire à la machinerie si bien décrite, tout de même, par Deleuze-Guattari. Mimant ce qu'il croit avoir compris, il s'évertue à inspirer le malaise nauséeux à grands coups de vertiges par profondeurs de champ en excès, cadres penchés, plongées et contre-plongées aiguës, alternances d'échelles contrastées, très gros plans multipliés, alternés avec des plans moyens, comme des clignotements. Les décors sont en demi-ruines ou tiennent de l'architecture industrielle désaffectée. Plafonds bas étouffants, au ras des cadres de portes chez K.
   On se complaît à faire la grosse peur aux spectateurs de moins de quatre ans par des tunnels brumeux, des décors urbains désertiques où se dresse une statue démesurée qui semble agiter des chaînes sous un voile funèbre, dans la nuit hachurée de zébrures aveuglantes ou ponctuée d'irruptions intempestives en clair-obscur. La bande-son (comme celle de Citizen Kane) est abominable, rudimentaire et désincarnée par la postproduction. Cris aigus des fillettes poursuivant le pauvre K. dans la brume du tunnel, rires hystériques du même sur le point d'être suicidé. Jusqu'aux coups de tonnerre, le signal convenu par excellence pour tout effet de terreur au cinéma ; et si vous n'avez pas encore compris, la musique vient en renfort : l'Adagio d'Albinoni, "grande musique" du pauvre, délice du mélomane triste des années soixante, époque où on la mettait à toutes les sauces du spectacle sentimental.
   En bref, un film grandiloquent, signalétique et prétentieux qui dégoutterait de Kafka, quand le lire serait la seule façon de s'en remettre ! 26/08/14
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