CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Elia KAZAN
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Un tramway nommé désir (A Streetcar Named Desire) USA VO N&B 1950 122' ; R. E. Kazan ; Sc. Tennessee Williams ; Ph. Harry Stradling ; Déc. Richard Day, George James Hopkins ; M. Alex North ; Pr. Charles K. Feldman ; Int. Vivien Leigh (Blanche DuBois), Marlon Brando (Stanley Kowalski), Kim Hunter (Stella Kowalski), Karl Malden (Mitch).

   Séduisante veuve à peine fanée et professeur d'anglais, Blanche DuBois débarque à New York pour un séjour chez sa jeune sœur Stella et son beau frère Stanley Kowalski, couple très amoureux sur le point d'avoir un bébé. L'annonce de la vente de la propriété familiale pour cause de ruine ne convainc pas Stanley, que la luxueuse garde-robe de sa belle-sœur intrigue. Il exige des comptes au nom du Code Napoléon, qui établit le mari colégataire de l'épouse.
   Personne falote et
fragile se piquant de raffinement, Blanche est choquée de la grossièreté de cet ouvrier spécialisé autant que par l'inconfort et la vétusté du logis. L'intrusion en ce lieu étriqué de l'étrangère perdue dans des rêves désuets, s'avérant de plus alcoolique, retentit sur l'entente conjugale. Stanley apprend qu'à la suite de la mort de son mari, Blanche a mené une vie dissolue, qu'elle a été renvoyée pour avoir séduit un élève. Il en informe son copain Mitch, qui devait l'épouser. Plaquée par ce dernier, Blanche est en outre violée par un Stanley excédé pendant que Stella accouche à la clinique. Sombrant dans la folie, elle est internée. Sa sœur se réfugie avec le nouveau-né chez une voisine.

   Gageure : le théâtre filmé peut-il en venir à relever de la condition filmique ? Les données de l'intrigue par elles-mêmes, comportent une dimension éthique
(1) universelle, pouvant convenir par conséquent a priori au cinéma : celle de la démystification des clichés qui courent les rues, en faveur de la vision de totalités contradictoires, interdisant de juger telle ou telle composante, qui n'a aucun sens en dehors d'un ensemble complexe, dont ne peut guère rendre compte que la collaboration de toutes les sciences humaines connues et inconnues.
   L'homme est une barque emportée sur l'océan physique et social. Il serait donc chimérique de juger du caractère bon ou mauvais de son existence. Stanley est une brute, mais ses actions ne s'expliquent en dernier ressort que par un farouche besoin d'amour. Blanche est débauchée, alcoolique, jalouse, égoïste, artificielle et antipathique en raison d'un traumatisme dont les circonstances vont réveiller le germe malin endormi, car l'amour lui est interdit.
   Ce qui importe cependant est la façon dont ces données d'inspiration initiale vont trouver dans la pellicule leur support privilégié. Or la pellicule en l'occurrence s'en tient fondamentalement au rôle d'accessoire d'enregistrement. Ceci souligné par un vain effort qui ne fait que plaquer sur une essence théâtrale une filmicité
(2) certes habile : à savoir, d'abord l'image métaphorique : un miroir brisé, par exemple, symbolise le viol. Puis la dramatisation ; premièrement par les sons, notamment les bruits réglés du chemin de fer, mais aussi le contrepoint savant des jeux musicaux auxiliaires atteignant au début un effet ironique prometteur (non tenu) ; deuxièmement par des effets de mouvement et de lumière : l'air déplacé du ventilateur remuant les matériaux souples du décor, les clignotements des néons de la ville se reflétant sur les murs intérieurs ; troisièmement par la composition tourmentée (excessivement) des ombres et du décor.
   Pour le reste, le plateau, en dépit des reconstitutions d'extérieurs urbains, est purement et simplement la transposition de la scène de théâtre. Ce qui provoque la désagréable impression d'un espace unidimensionnel, sans jeu, alors que les possibilités spatiales au cinéma sont illimitées. Non par l'étendue du champ, mais par le potentiel fabuleux du cadrage et du montage ordonnés au hors-champ.
   Constamment gêné par le caractère fermé de l'espace, Brando (Galerie des Bobines), qui domine tout le film à faire éclater les codes dramaturgiques en vigueur, semble se cogner au cadre. Jouer un rôle au cinéma, c'est être capable d'exploiter les conditions du plan, telles que celui-ci est destiné à être raccordé à d'autres. Comme toute liberté, paradoxalement, celle de l'acteur se définit à l'intérieur d'un système déterminé. Ce que ne paraît pas comprendre Vivien Leigh, qui affirme (admirablement hélas) une présence théâtrale, relative à la permanence d'une scène face aux spectateurs. En conséquence, le personnage n'est guère crédible à l'écran et le thème de la folie devient un mauvais cliché (en existe-t-il de bons ?) pour faire peur à bon compte.
   On a donc raison après plus d'un demi-siècle de retenir qu'il s'agit du deuxième rôle au cinéma de Brando, mais de ne retenir - filmiquement parlant - que cela. 11/07/04
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