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La Fille de la tourbière (Tösen från Stormytorpet) Suède Muet N&B 1917 73' ; R. V. Sjöström ; Sc. Ester Julin, d'ap. Selma Lagerlöf ; Ph. Henrik Jaenzon ; Déc. Axel Esbensen ; Pr. Svenska ; Int. Greta Almroth (Helga), Thekla Borgh (sa mère), William Larsson (son père), Lars Hanson (Gudmund Erlandsson), Concorda Selander (sa mère), Hjalmar Selander (son père), Karin Molander (Hildur), Georg Blomstedt (son père), Jenny Tschermichin-Larsson (sa mère), Gösta Cederlund (Per Mårtensson).
Poussée par son père, Helga attaque en justice Per Mårtensson, homme marié qui refuse de reconnaître la paternité du nourrisson de la jeune fille. Mais qu'il s'apprête devant le tribunal à le jurer sur la bible, elle préfère retirer sa plainte plutôt que de voir le père de son enfant blasphémer. Cet acte héroïque tourne pour certains l'opprobre unanime en estime. Surtout la mère de Gudmund Erlandsson, le jeune homme auquel elle avait refusé de monter dans sa voiture car il l'y avait invitée avant d'avoir pu reconnaître en elle la honte de la paroisse. Helga est engagée par la mère de Gudmund comme servante par la médiation de celui-ci, qui assure à ses parents qu'ils peuvent être fiers de leur fille. Mais Hildur, fille d'un riche juré rigoriste fiancée à Gudmund, ne tolère pas sa présence. Helga est renvoyée à regret chez ses parents avec l'assurance qu'on lui fournira toujours du travail.
Cependant un homme a été tué dans la nuit dans une bagarre d'ivrognes, avec un couteau pliant dont la lame est restée plantée dans le crâne. Gudmund s'était saoulé avec des copains la veille et n'a plus aucun souvenir. Il découvre que la lame de son couteau de poche est brisée. Comme il s'est dénoncé, l'attitude hostile de Hildur le pousse à annuler leur mariage. En même temps il prend conscience que c'est Helga qu'il aime et se déclare. Prudente, Helga va trouver Hildur. Laquelle prétend aimer Gudmund mais n'épousera pas un homme qui a fait de la prison. Helga l'informe alors qu'il est innocent, que c'est elle qui, sans oser le dire, avait brisé la lame du couteau, à elle confié pour fendre du bois. Elle l'exhorte à lui revenir comme si c'était de sa propre initiative. Hildur rejoint Gudmund et sur ses questions pressantes avoue que le mérite de sa démarche revient à Helga. "Helga souhaitait que tu me reviennes me croyant meilleure que je ne suis" confesse-t-elle. Gudmund, pour qui déjà "Helga était devenue un standard dont il prenait la mesure d'autrui", n'hésite plus. Il fait le choix d'épouser Helga, dont on a compris qu'elle l'aimait depuis toujours.
Reconstitution minutieuse de la vie rurale d'une paroisse reculée, dans des décors tant intérieurs qu'extérieurs, où la nature a large part. Réplique de la réalité extérieure magnifiquement assumée mais c'est plus difficile pour le monde intérieur. La communauté est cimentée par la haine de ce qui peut mettre un doute sur le choix de ses valeurs, cela se lit sur les figures au tribunal. Elles reposent en l'occurrence sur la chasteté des filles afin que chacun soit bien dès la naissance à sa place civile assignée.
Le sentiment d'humanité est bien plus problématique dans la mesure où il peut mettre en cause les bases de cette architecture morale péniblement édifiée au cours des siècles. Il constitue un contre-pouvoir latent, qui ne peut se manifester qu'à l'occasion de crises. Une vieille paroisse, une "fille-mère", un faux-criminel et un couteau brisé, cela devrait suffire pour faire un film dans ces conditions.
Pourtant ce contre-pouvoir a son tribunal, non officiel, en la personne de la mère de Gudmund, qui siège en permanence car elle ne peut marcher, et régente les affaires, mari dans l'ombre, depuis son foyer comme d'une maison de justice. Sur sa figure la même assurance sereine que sur celle du juge. En engageant Helga elle complète le geste de ce dernier, qui honora le courage de la plaignante en lui serrant la main après la séance du tribunal. Un Juste tout de même mais ligoté par sa fonction. Car il ne faudrait pas sous-estimer l'ampleur de la mission consistant à réinjecter un peu d'amour dans un système tournant par inertie. Ce contre-pouvoir nécessite une force spirituelle. C'est Helga qui la possède. Une sainte, qui plus est sainte pécheresse, ce qui met déjà le trouble dans les esprits les plus fins comme celui de Gudmund. Il faut donc corriger : une vieille paroisse, une sainte pécheresse, un faux criminel et un couteau brisé.
À ce point cependant on n'a toujours pas abordé le film lui-même, seulement les conditions de sa crédibilité. Il nous faut voir comment les thématiques prennent corps dans une filmicité en l'occurrence étonnamment précoce à considérer qu'on est encore à l'aube du cinématographe. Ainsi la direction d'acteur. Quelle différence avec les emphases du temps relevant d'une conception de la photographie comme instantané, qui doit tout donner d'emblée indépendamment de la durée ! Sauf pour Greta Almroth (Helga), qui s'identifie tellement à son personnage qu'elle croit peut-être devoir porter le film sur ses épaules, pas un geste outré, pas une grimace.
Par ailleurs, le monde représenté ne se réduit pas au cadre, nous n'avons pas affaire à une suite de tableaux strictement délimités mais à des prélèvements dans une matière infinie. Le hors-champ est omniprésent ne serait-ce que dans la façon dont les contours du plan sont transgressés. La profondeur de champ, les mouvements d'appareil, panoramiques et travellings, sont une autre façon de faire droit à la possibilité indéfinie d'extension du champ.
Ce qui se passe à l'intérieur du cadre épargne toute explication verbale. Gudmund n'ose pas dire à Helga qu'elle est renvoyée. C'est, présenté à l'un des bouts d'une diagonale de la cuisine dont elle occupe l'autre extrémité, qu'il s'adresse à elle, distance physique maximale dans le plan, celle de la gêne. Les actes ou les objets sont transformés dans le même but de servir l'intrigue sur le mode filmique. Tirer, en gros plan, l'épingle qui maintient sa couronne de mariée alors que Gudmund est en train de lui avouer son "crime" fait éclater sa rigidité morale. L'alcool que sirotent les invités dans une tasse à café, le gros plan burlesque sur celle qui use d'une coupelle stigmatise ceux qui ne pardonneraient pas au criminel alcoolisé. A contrario, la joie démonstrative de Gudmund devant le petit bâtard dans son berceau suspendu au début amorce d'emblée avec le pan du contre-pouvoir un ressort essentiel du film. 17/02/18 Retour titres