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Sergio LEONE
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Il était une fois en Amérique (Once Upon a Time in America) USA VO 1984 220' ; R. S. Leone ; Sc. Leonardo Benvenuti, Pierro de Bernardi, Enrico Medioli, Franco Arcalli, Franco Ferrini, S. Leone, d'après A main armée (The Hoods) de Harry Grey ; Ph. Tonino delli Colli ; M. Ennio Morricone ; Mont. Nino Beragli ; Déc. Gretchen Rau ; Pr. Arnon Milchan ; Int. Robert De Niro (Noodles), James Woods (Max), Elizabeth McGovern (Deborah), Tuesday Wel (Carol), Treat Williams (Jimmy O'Donnel).

   Récit de la vie ratée du gangster David Aronson dit Noodles, pseudonyme : Robert Williams. Reconstituant un puzzle de flash-back, le Noodles vieilli revit son passé à travers une partie de l'histoire de New-York traversée par la Prohibition. Donnée par Noodles à la police pour éviter un massacre lors d'un hold-up risqué, sa petite bande de hors-la-loi avait pourtant été décimée. Il passait le reste de sa vie clandestinement sans avoir pu mettre la main sur le million de dollars qui devait lui revenir à la mort des autres, quand il est contacté au sujet du déménagement du cimetière juif où sont enterrés ses comparses.
   Il entreprend d'élucider le mystère. Ce qui entraîne un bilan personnel amère et nostalgique amplement extériorisé par la musique supradiégétique. L'amour avait été trahi par Deborah qui a préféré à Noodles le métier d'actrice. Il s'était vengé en la violant dans sa limousine en pleine course, mais apprend qu'elle est devenue la maîtresse de Max. Lequel, supposé avoir péri dans le hold-up sanglant, est devenu un riche sénateur sous le nom de Baley. C'est lui qui a tout manigancé pour rafler le million : le massacre et le maquillage du cadavre (censé être le sien propre) avec la complicité de la police. Il est donc responsable du triple gâchis touchant Noodles : amour, amitié, magot. Cependant, c'est encore lui qui, se sachant brûlé, a rappelé Noodles pour le prier de l'abattre au nom de l'amitié. Mais celui-ci n'a plus ni amitié ni goût de la vengeance. Pire, il manifeste son mépris en traitant Baley-Max avec un froid respect. C'est sur un gros plan du visage sérieux du héros bientôt crispé d'un sourire faux que défile désespérément le générique de fin.

   Je ne crois pas aux scènes-clé mais s'il en fallait ce serait celle où le jeune acolyte trop gourmand dévore la charlotte russe à la crème destinée à Peggy en échange de ses charmes. Il titille un peu la cerise comme un organe excité, puis se résout à engloutir le tout. La caméra l'observe froidement sous divers angles comme un sujet d'étude. Il représente bien celui qui lâche la proie pour l'ombre, le "tocard" auquel Noodles se compare lui-même à l'heure du bilan. Puis dans la scène suivante, le gamin surprend Peggy copulant avec le sergent de ville véreux, préfiguration de la petite bande tragiquement "baisée" par les flics le jour du hold-up.
   Ce n'est pas sans plaisir que l'on retrouve le style de Leone, la qualité photo, la précision lente ou fixe de plans entomologiques, le balisage signifiant du volume de l'espace scénique, les jeux sur le son, et qu'on se laisse porter sans méfiance par sa forte ambiance musicale. S'y ajoutent les considérables moyens mis en œuvre, au titre du réalisme documentaire du New York des années vingt-trente.
   Mais ce qui pouvait être pertinent ailleurs devient ici artificiel. Le caractère mythique du western permettait au spectateur de s'identifier à des sentiments simples (la vengeance, la nostalgie) sur le mode ludique, d'autant que le projet leonien a perdu ici sa dimension essentielle : l'ironie (sauf, tout de même, quant à la charlotte russe). Le parti pris historique et documentaire impose un ton des plus sérieux. Qui plus est, l'enjeu psychologique étant dominant, le récit se confond avec l'anamnèse d'un héros qui s'appelle à la ville De Niro.
   Invité à s'identifier à la star, le spectateur a perdu la liberté de sa propre jubilation.
Il était une fois De Niro conviendrait parfaitement, à considérer le gigantesque effort technique et financier déployé pour intéresser le spectateur au pittoresque d'un petit destin. Ce qui n'empêche ce fabuleux savoir-faire qui a conquis sa place dans l'histoire du cinéma. Par exemple le montage-son jouant sur une confusion volontaire entre "musique d'écran" et "musique de fosse". La flûte de Pan d'accompagnement s'avère un moment être un objet diégétique, de même que les violons "romantiques" du restaurant réquisitionné hors-saison pour les beaux yeux de Deborah, appartiennent à un orchestre visible jouant pour eux seuls. La sonnerie du téléphone à la fumerie d'opium déclenche un flash-back et, se prolongeant hors champ durant la remémoration, vient se confondre un moment avec la sonnerie d'un téléphone imaginaire en gros plan, qu'une main vient décrocher sans interrompre la sonnerie.
   Les sons sont traités avec la précision maniaque que l'on connaît : battement de pendule, bruits de pas sur plancher, tintement de clé, râle de blessé, cuiller tournant dans la tasse à café. Mais ils peuvent aussi avoir une présence imperceptible infléchissant la tonalité d'une scène, comme la sourde vibration du moteur de la limousine d'abord tenue en une lancinante rumeur puis modulée par un decrescendo indiquant atrocement le viol consommé. D'autres sont des échos lointains de train ou de bateau qui, tout en mesurant l'espace de la ville portuaire (réalisme), dramatisent un événement, notamment mémoriel.
   Même précision mais visuelle des très gros plans parfois précédés d'un travelling sur physionomies intenses ou objets têtus. Mais le flou artistique (qui est un cliché), de même, donne lieu à de très belles images de réminiscence tout en étant légitimé par un nuage de farine dans la boutique, la brume du port ou la vapeur des sous-sols new-yorkais. Il faut enfin admirer l'intelligence métaphorique des raccords de flash-back, comme dans la scène ultime, les feux arrière (rouges) du camion-benne s'estompant dans la nuit brumeuse, qui deviennent les phares (blancs) d'une automobile du passé s'approchant dans l'autre sens.
   Malgré ces prodigieux atouts, rien à faire ! Ce qui était au service du plaisir de la fiction dans le western devient ici formalisme exhibitionniste. En bref, deux choses à éviter, la recette esthétique, fût-elle puisée chez le réalisateur même, et les contraintes liées au gros budget : star-system, débauche de décors et de technique, effets musicaux imposés par le prestige d'une signature.
   Leone pèche par excès, cela n'exclut pas le plaisir, critère de divertissement et non d'art. 8/06/00
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