CINÉMATOGRAPHE 

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Fabrice MARUCA
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Surprise ! Fr. court métrage couleur 2007 18' ; R., Sc. F. Maruca ; Ph. Colin Houben, Maryline Touret ; Mont. Emmanuel Douce, Bruno Maruani ; Mont. son Vincent Hazard, Etienne Sueur ; M. Alex Opang ; Pr. Venus Production/Plein la Vue ; Int. Guilaine Londez (Brigitte Weber), Didier Brice (Pierre Weber), Juliette Poissonnier (Sophie), Pascal Casanova (Didier, le flic), Corinne Masiero (son épouse).

   Le jour anniversaire de sa naissance, Brigitte Weber surprend son mari Pierre, "Doudou", au lit avec Sophie, jeune voisine célibataire. Contre toute évidence pourtant, il n'y a pas adultère ! "Si je lui raconte comment c'est arrivé, commente Doudou en voix off, elle me croira jamais !" Par une série de circonstances fortuitement ordonnées à une même maligne fin, la surprise d'anniversaire concoctée par pur amour tourne à la catastrophe conjugale. Un charmant jeu de piste devait amener Brigitte rentrant du travail à découvrir des fleurs et un présent, accompagnés d'une déclaration sur une pancarte surgie au bon moment par un mécanisme ingénieux, le tout menant au bouquet final du lit douillet. L'époux exemplaire n'a pas hésité à prendre une journée de congé pour mener à bien l'opération. Mais le destin dès l'aube tend ses filets sur une assez vaste échelle.
   
Reprenons, ça en vaut la peine. Huit heures : le réveil couine. En coupant l'alarme à l'aveuglette, Brigitte fait choir un tube de comprimés analgésiques. Pendant ce temps, à la campagne, Laurent Cabrol chouchoute ses géraniums en serre, qui, dit-il, "dorment encore" : émission télévisée suivie par une voisine d'étage des Weber. Celle-ci sollicite du coup Didier, son mari, d'aller incontinent lui acheter du terreau. En plein repassage, furieux car devant prendre son "service" dans la matinée, ce dernier pose la table à repasser pliée en appui instable contre le meuble mural de la cuisine, accusant sans ménagement l'épouse de rester journellement plantée devant la télé. Elle l'éteint.
   Tout près, au même niveau, Pierre feint de dormir encore, ce qui ne laisse pas d'étonner Brigitte en partance pour le bureau. Sur le palier elle est bousculée par la porte de l'ascenseur, qui livre passage à une Sophie frénétique, en survêtement, se précipitant, sans saluer, chez elle à côté mais à l'opposé des " Didier ".
   L'appartement de la jeune femme est envahi par la vapeur d'une casserole oubliée sur la plaque électrique brûlante. Elle ouvre sommairement la porte-fenêtre donnant sur le balcon. Sur celui d'à-côté, en prolongement, la mordue du petit écran s'affaire à ses pots de géranium. Mais Sophie branche un ventilateur orienté vers la porte-fenêtre, qu'elle ouvre en grand. Le nuage de vapeur drainé enveloppe la voisine qui se réfugie devant la chère télé, où passe "l'objet mystère".
   En bas Didier rejoignant sa voiture, est apostrophé par un individu en débardeur nommé Lopez. Il gueule pour sa place de parking attitrée, occupée, en dépit du patronyme légitime figurant au sol en grosses lettres, par un véhicule anonyme, dont le beauf arrache par mégarde un essuie-glace. Ce qui lui vaut un fameux crochet du propriétaire, gros balèze survenu. Puis, petits coups de projecteur sur la marche des événements : Sophie éteint son ventilateur et Didier est au volant sur une route de campagne.
   Entre-temps au bureau, Brigitte s'étant inquiétée de ce que Pierre oubliât son anniversaire pour la première fois en vingt ans de mariage, une charitable collègue passe en détail les adultères dont elle fut elle-même victime. Par le truchement d'une voisine pressée qui ne la saluait pas, d'abord, puis d'une fleuriste ayant usurpé jusqu'à sa place de parking. Brigitte téléphonant du coup au boulot de Pierre est informée du fameux congé. Weber appelle justement le fleuriste, qui promet la livraison pour ce matin. En même temps il répond en double appel à Brigitte dont les soupçons se confirment. Elle rentre illico au nid, ce que le patron découvrant, exige qu'elle soit dans son bureau sous les dix minutes. Une deuxième collègue l'en avertit sur le répondeur du domicile mais, surpris par la sonnerie, Pierre tout à son œuvre secrète se tache de rouge.
   De retour de "Jardiland" Didier se gare sur le parking, suivi de près par le livreur de fleurs. Dans sa salle de bains, Sophie se pomponne pour un entretien d'embauche tandis que Mme Didier savoure son émission. Un coup de marteau de Pierre sur un clou dans le mur mitoyen surprend Sophie qui macule son chemisier blanc de cosmétique rouge. En prenant du recul pour ajuster la percussion cependant, Pierre a heurté du talon le tube de paracétamol qui va rouler un peu plus loin. Ça ne chôme pas non plus dans l'immeuble où deux sacs de terreaux transitent par l'ascenseur au détriment des reins de Didier.
   Par conséquent, le livreur de fleurs se cassant le nez sur l'ascenseur occupé choisit l'escalier. En soutien-gorge, Sophie ayant fébrilement frotté de détergent son chemisier doit le sécher au plus vite. Elle appuie du pied sur l'interrupteur de la prise multiple commandant en même temps sèche-cheveux et ventilateur, lequel chasse le foulard, oublié là dans l'affolement, en direction du balcon dont la porte est restée béante.
   En parallèle, l'objet mystère est identifié par un heureux téléspectateur, Didier est dans son ascenseur, le livreur gravit, le beauf téléphone à un beauf pour une expédition punitive contre les resquilleurs de parking. Débarque en voiture Brigitte qui, son aire privée étant occupée par la fourgonnette du fleuriste, se gare sur celle de Lopez. Ce qui n'échappe pas de là-haut à la vigilance du justicier pour soi-même. En ouvrant la fenêtre pour apostropher l'intruse, il fait ricocher un rayon de soleil qui va en transitant par la cuisine aveugler l'écran de la passionnée d'objet-mystère. Laquelle, pour ne pas manquer le meilleur, qu'elle rate de toute façon, ferme la porte brusquement, provoquant le déséquilibre de la planche à repasser.
   Au même moment, le foulard franchit le parapet du balcon sous les yeux de la fille en soutif, qui s'élance. Chez les Didier, la planche en venant heurter le mur mitoyen des cuisines symétriques déstabilise par vibration le balai de Sophie, qui en s'abattant accroche la clé de voiture posée sur le frigo. Le volumineux porte-clé en chute libre pèse sur la poignée de la porte qui en s'ouvrant provoque un appel d'air d'où s'ensuit derrière Sophie le claquement intempestif de la porte-fenêtre du balcon, démunie de poignée extérieure. Or, la large jupe de la jeune chômeuse est prise dans l'hermétique jointure.
   Rendu à l'étage, le souffre-douleur du terreau bloque la porte de l'ascenseur pour riper un à un les deux sacs jusqu'à l'appartement. Si bien que le livreur se recasse le nez au palier où il se trouve alors, se résignant à poursuivre sa pénible ascension pédestre. Brigitte, elle, patiente au rez-de-chaussée. Pierre ayant terminé quant à lui, se déshabille pour sa douche. Alors que tombé sur la tête, le pauvre chat de cirque d'un film d'animation provoque l'hilarité d'un public de marionnettes, le terreau fait son entrée. Ire du mari, lombalgique à la bourre, retrouvant l'épouse affalée devant le petit écran. Les figurines anthropo et zoomorphes sur la piste saluent le public. Rideau. Lopez en bas se lance à l'assaut du parking. Le livreur transpire sur les marches. Dans l'ascenseur, Brigitte reprend bravement sa respiration.
   Mais sur le balcon, s'étant extraite de la jupe prisonnière, Sophie franchit en toute petite tenue le panneau de séparation côté Weber. Toujours sous la douche Pierre n'entend pas les coups frappés à la porte-fenêtre entrouverte donnant sur la chambre à coucher où s'introduit timidement la Madone des balcons. Sur le lit repose le cadeau en son emballage de fête. Brigitte quitte l'ascenseur à l'étage. Chuintement caverneux de la portière. Lopez furibard remonte en hâte.
   Sous les yeux de Brigitte pénétrant au domicile conjugal, une grosse flèche portant le mot "surprise !" pointe une poignée de porte. Plus bas, sur le parquet, gît un slip abandonné en hâte. Le livreur atteint enfin l'étage. Mais il est violemment jeté à terre par la porte de l'ascenseur sous la poussée du furieux qui se penche sur lui sanglant au moment où Didier paraît en uniforme de la police nationale. Le flic menaçant fond sur le malheureux obsédé du parking qui a déjà un œil au beurre noir.
   Pierre en tenue d'Adam tombe sur une jeune personne en sous-vêtements dans la chambre à coucher. Son pied se posant sur le tube de comprimés, il perd l'équilibre, entraînant avec lui sa partenaire involontaire sur le lit dans une posture scabreuse. Avec un léger crissement de ressort la porte s'ouvre sur Brigitte hébétée. En renvoyant le battant à la volée elle déclenche le dispositif qui lui envoie dans la figure la pancarte de bois suspendue au plafond. Elle perd connaissance. " Là c'est sûr, elle me croira jamais !"

   À cause d'un tube de paracétamol, d'une émission de télé populaire, d'une place de parking, d'une planche à repasser, de la configuration de l'habitat collectif rentable associé à la minceur des murs, d'un rayon de soleil dévié, d'un foulard avec un ventilateur et d'un courant d'air, un mari amoureux et attentionné peut faire une croix sur son bonheur.
   Délice du matériau : il y a comme un autodynamisme des choses imposant leur loi à l'encontre de l'ordre du désir. Tout cela sur le mode de la fulgurance : le montage parallèle métamorphosant la dure condition du temps en ubiquité, délice encore, qu'accentue l'économie du récit. Tout est rigoureusement fonctionnel, rien n'est laissé au hasard. Un rétif tube de médicaments nous conduit plus sûrement au dénouement que tous les encombrants commentaires
off. Les coïncidences provoquent de plaisants courts-circuits narratifs : le sommeil des géraniums et celui (feint) de Pierre, par exemple.
   Tout cela sans laisser le champ libre à l'invraisemblance, le décor étant à tout instant éminemment crédible. Les styles intérieurs varient judicieusement en fonction des occupants. Il y a une épaisseur de vie jusque dans le choix des anecdotes secondaires (le livreur qui s'esquive). La direction d'acteurs à cet égard est déterminante. Certains en l'occurrence en font un peu trop. Mais la sobriété de Guilaine Londez, la distanciation de Corinne Masiero et de Juliette Poissonnier font merveille.
   On pourrait même parler d'étude sociologique d'un milieu caractérisé : celui des cabanes à lapin où coexistent petits employés, policiers subalternes et chômeurs prêts, comme Sophie, à tout pour gagner leur vie. Laquelle vie est rythmée par la coûteuse automobile. Ce n'est pas un hasard si la clé qui précipite la catastrophe, bien qu'agissant sur une porte de cuisine, est de voiture, ni que le parking soit un tel enjeu de pouvoir. L'automobile s'avère l'attribut complémentaire obligé de ce système divisé en zones géographiques spécialisées, distantes les unes des autres : habitat, commerces, bureaux. Le plan de coupe d'une friterie en bord de route lors du trajet en voiture du domicile à Jardiland souligne plaisamment cet aspect.
   Cette critique économique et sociale en filigrane n'est par bonheur ni morale ni politique. Elle n'institue nulle doctrine salvatrice, mais naît de la soumission de la technique aux procédés de la dérision. La séquence entremêlée de la télé est un commentaire déguisé du drame qui se noue. L'objet mystérieux une " périnèphe à suspension " est emblématique d'un monde dominé par des préoccupations futiles.
   Le montage serré ici n'est pas ce saucissonnage frénétique chargé en vain de suppléer un cinéma exsangue, mais relève bien d'une mise en perspective arrachée aux langueurs de la durée causaliste, entraînant d'insolites conflagrations. Le cadrage ne se contente pas de centrer ce qui est déjà au cœur du propos. Il sait aussi jouer suggestivement des possibilités du cadre, par exemple dans le premier plan, celui du " flagrant délit ", le buste nu de Pierre supposé être en appui sur les mains au dessus de sa "partenaire" émerge du hors champ inférieur avec un grincement de ressorts, sous le regard en contrechamp de l'épouse "trompée", ménageant la surprise de la scène complète au plan suivant.
   Le jeu des grosseurs assure, associé au montage, une lisibilité favorisant l'économie de l'ubiquité. Voyez au début le gros plan d'anticipation (alors incompréhensible) sur la clé de voiture de Sophie posée sur le frigo. Le panoramique, ce mouvement toujours surprenant de décrire un espace émancipé des coordonnées rectilignes relevant des axes optiques, favorise l'inattendu ou met l'accent sur la chose pointée ne surgissant qu'en bout de course, par exemple Didier repassant, ce qui amènera la planche à repasser.
   Le jeu sur le point épargne un plan : la collègue de profil, plan épaules, débitant ses histoires d'adultère, Brigitte à l'arrière plan, floue de face. Le point souligne alors le tourment lisible sur son visage, la collègue devenant floue à son tour, puis retour à la situation optique initiale, etc. ; ou plutôt, en l'occurrence, il ne l'épargne que pour mieux l'asséner ultérieurement, l'on sait depuis Freud que l'épargne psychique appartient aux procédés du mot d'esprit.
   Le montage son, on l'a entraperçu, scande l'action sur le mode caricatural. Le chevauchement l'accélère tout en participant du système d'ubiquité, comme la sonnerie du téléphone des Weber, anticipée dans le plan précédent (le livreur au volant). Parodique, surdramatisante, la musique est chargée de relancer chaque étape sans être abusivement pléonastique de l'image comme cela se pratique généralement pour camoufler les faiblesses filmiques.
   La narration pour tout dire est éminemment ludique. Au point que la dernière réplique de Pierre sur une reprise du premier plan : " Là c'est sûr, elle me croira jamais ! " suppose qu'il connaît la suite, que le personnage en situation s'identifie au spectateur en fin de projection. Il arrive même, confusion entre diégèse et " fosse ", que la sonnerie du téléphone raccorde sur la musique d'accompagnement !
   Une telle qualité est si rare dans un court-métrage (nonobstant, outre les réserves concernant certains acteurs, quelque infime faux-raccord lumière en extérieur) qu'il me faut aller chercher loin dans le passé, jusqu'à
Omnibus de Sam Karmann (1992), pour trouver un antécédent comparable. 11/03/08 Retour titres