Les Espions (Spione) All. Muet N&B 1928 161' ; R. F. Lang ; Sc. F. Lang et Thea von Harbou, d'apr. son roman ; Ph. Fritz Arno Wagner; ; Déc. Otto Hunte et Karl Vollbrecht; ; Pr. UFA ; Int. Rudolph Klein-Rogge (Haghi), Gerda Maurus (Sonya), Lien Deyer (Kitty), Louis Ralph (Morrier), Craighall Sherry (le chef de la police), Willy Fritsch (agent 326) Paul Hörbiger (le chauffeur), Lupu Pick (Dr Masimoto, Fritz Rasp (le colonel Jellusič), Herta von Walther (Lady Leslane).
Sous couvert de la banque dont il est l'éponyme, infirme sur une chaise roulante, Haghi dirige une organisation internationale d'espionnage du fond d'un appartement secret. Afin de se venger de la police secrète du tsar, qui exécuta son père et son frère (comme s'il ne s'était rien passé en 1917), l'émigrée russe Sonya est à son service. Elle convainc au moyen de ses charmes le colonel Jellusič de lui vendre les plans d'attaque secrets. Lequel, dénoncé par Haghi, est forcé par ses chefs de se suicider.
Dépassée par l'étendue des pouvoirs de Haghi, la police est ridiculisée par la presse. Heureusement, l'agent n° 326, expert en déguisements improvisés, est là. Haghi ne s'y trompe pas qui a confié à Sonya la mission de le séduire. Mais le policier et l'espionne tombent amoureux. Les numéros des billets remis à Jelluvič indiquent la piste de la banque. Ils sont habilement échangés par l'agent double 719, le clown Nemo. Parallèlement, Haghi a envoyé la jolie Kitty dans le lit du Dr Masimoto, le chef des services secrets japonais. Elle lui dérobe un traité secret, capital pour le Japon. Masimoto se fait hara-kiri. Haghi, qui tient Sonya prisonnière pour être tombée amoureuse de sa proie, se ravise et lui confie la mission délicate de passer le traité à l'étranger. Elle accepte à condition qu'il épargne 326. Il promet, tout en fomentant l'assassinat de l'agent dans un accident ferroviaire. En prenant le Nord-Express, elle voit 326 monter dans le dernier wagon de l'Europe Express, dont le numéro l'obsède. Par la suite, détaché du train, le wagon est écrasé par le train suivant détourné de sa voie. En l'apprenant, Sonya se souvient qu'elle avait entraperçu ce même numéro chez Haghi et comprend qu'il en est l'instigateur. Elle se fait conduire en locomotive sur le lieu de l'accident et délivre son bien-aimé, indemne, des tôles enchevêtrées.
326 rejoint les forces de police qui investissent la banque, après avoir chargé son chauffeur de mettre Sonya en sûreté. Mais Haghi les fait enlever. Il signifie que Sonya mourra si la police n'évacue pas sous quinze minutes. Certain que sa prisonnière n'en réchappera pas, Haghi lui révèle qu'en réalité il a l'usage de ses jambes.
Course contre la montre. In extremis on enfonce un mur qui donne accès à l'appartement secret où sont détenus les prisonniers alors que Haghi a fait répandre un gaz toxique dans les locaux. Mais le grand patron est introuvable. Découvrant que les numéros des billets avaient été échangés, la police comprend que le clown Nemo, en tant qu'agent 719 auteur de l'échange, n'est autre que Haghi. En plein spectacle, ce dernier est cerné par la police. Il se tire une balle dans la tête et expire en criant "Rideau !" Le public applaudit.
En ce lourd arsenal narratif, un concentré des topoï, pour ne pas dire clichés, autour du pseudo-infirme hyperéquipé en technologie futuriste qui, dans sa casemate introuvable et pourtant à portée de main, le tient tapi au centre de toutes les opérations comme une araignée. Ayant à son service un trio de jolies espionnes, bonnes pourvoyeuses de suicides, qu'il tient au besoin au moyen du chantage, il est flanqué d'une âme damnée affublée en nurse, figure maternelle de tout-puissant nourrisson, à laquelle il s'adresse en langage gestuel secret, connotant tout ensemble la pouponnière, l'asile de fou et la société secrète.
Heureusement deux actants sont à même de mettre en échec le postulant maître du monde : l'amour dans sa version romanesque, et l'honneur de la police secrète. L'amour est le ver dans le fruit de toute machination dont il amollit et digère les organes de transmission. L'ennemi diaboliquement intelligent et organisé n'est que pour mettre en valeur l'efficacité de la machine policière qui, dopée par la pression de l'opinion et galvanisée par son meilleur agent, quadrille patiemment la totalité du champ existentiel.
Parfait usage des moyens techniques : des effets spéciaux, des angles, de l'échelle, du cadre jouant du hors champ, mais à vide, se développant linéairement, sans l'audace de l'ubiquité, qui nécessite l'ellipse. Muet bavard pour ainsi dire. "La virtuosité aliénée du contenu se donnait pour de l'art", pouvait noter à propos de ce film Kracauer dans De Caligari à Hitler (Flammarion, "Champs, Contre-Champs", p. 167). On ne saurait mieux dire. 9/04/18 Retour titres