CINÉMATOGRAPHE 

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François OZON
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Sous le sable Fr. 2000 90' ; R. F. Ozon ; Sc. Emmanuèle Bernheim, François Ozon, Marcia Romano, Marina de Van ; Ph. Antoine Héberlé, Jeanne Lapoirie ; Son Jean-Luc Audy, Benoît Hillbrant, Jean-Pierre Laforce ; M. Philippe Rombi ; Mont. Laurence Bawedin ; Int. Charlotte Rampling (Marie Drillon), Bruno Cremer (Jean Drillon), Jacques Nolot (Vincent), Alexandra Stewart (Amanda).

   Sur une plage des Landes où chaque année on passe les vacances dans la maison familiale, Marie soudain perd de vue Jean, depuis vingt-cinq ans son mari. L'alerte est donnée mais malgré les recherches elle doit rentrer seule à Paris et reprendre son métier de professeur d'université avec, plus tragique que la certitude de la mort, l'espoir insensé qui la travaille. Son mode de défense est, contre l'évidence, de feindre de croire le disparu toujours à ses côtés, et il apparaît en effet, laissant même le spectateur dans le doute. Elle prend pour amant Vincent, "trop léger" (au propre, vu la corpulence de Jean) pour le remplacer vraiment.
   Elle découvre un jour que Jean était dépressif et sous médicaments, ce qui laisse surnager l'hypothèse du suicide. Enfin un noyé a été trouvé dans un état de décomposition interdisant toute identification. À la morgue néanmoins elle insiste pour voir le corps dont l'autopsie a confirmé qu'il s'agissait de son mari. Mais elle n'identifie si bien ensuite le maillot de bain que pour remettre tout en question en refusant de reconnaître la montre. L'été suivant sur la plage, elle aperçoit au loin la silhouette aimée. La fin du film interrompt sa course avant qu'elle ne l'atteigne.

   Là se dévoile véritablement le talent resté jusqu'ici caché de François Ozon. Par la tendre attention portée à la réalité des êtres qui vont se quitter pour toujours. Le souffle en plan sonore
rapproché de Jean corrobore sa masse corporelle en rapport étroit avec la forte présence dans l'absence du personnage. Un arbre au son rugueux sous sa main caressante complète cette sensation de l'être-là tenace du compagnon à vie de Marie, laquelle a choisi pour amant Vincent justement parce qu'il ne "fait pas le poids". La femme de cinquante-quatre ans semble porter l'empreinte de sa relation à Jean dans les stigmates de l'âge filmés sans euphémismes techniques. Sa grâce tient à l'amour de façon si fondamentale que l'homme aimé doit continuer à l'alimenter depuis l'au-delà.
   Le plan fixe très rapproché dépeignant cette belle âme dans divers contextes particuliers, l'authentifie dans la temporalité d'un esprit en butte au plus étrange mouvement, sans égard aux contingences sociales, tendu vers l'impossible synthèse de la vie et de la mort. Le caractère intransigeant et entier de Charlotte Rampling convient admirablement au rôle. Par-delà les canons séductionnels utiles à la survie de l'espèce, sa beauté plus intérieure et plus intemporelle est la juste manifestation de l'enjeu émotionnel du film.
   La force de celui-ci tient surtout au suspens indéfini du devenir de l'histoire. Suspens du plan en gestation sous nos yeux qui n'est que l'émergence d'un tout indécidable. Si Jean est peut-être vivant après sa mort, il est aussi bien mort avant de mourir : solitude et mélancolie l'accompagnent autant avant qu'après la disparition. Au lit, face à la caméra, il tourne le dos à Marie, absorbé dans la lecture d'un livre. Après la disparition, l'ambiguïté quant à la réalité de son existence repose sur la rupture du montage. Seul dans un plan, notamment, il s'adresse
à Marie hors champ.
   Peut-être le pouvoir du film est-il justement, en remodelant l'espace-temps, de résoudre cette crise contraire au travail du deuil, qui doit intégrer la mort à la vie et non l'inverse. Le dernier plan du film résume étonnamment ce miracle esthétique. Filmé en focale longue écrasant la perspective, il donne l'impression d'une Marie à la fois toute proche et très éloignée de la silhouette sur la plage. En tout état de cause, elle n'atteindra jamais son objectif : version cinématographique du paradoxe de la flèche et d'Achille
de Zénon d'Élée. De très loin le meilleur film d'Ozon (je confirme en 2023). 22/06/03 Retour titres