CINÉMATOGRAPHE 

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Alexandre SOKOUROV
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Le Soleil (Solntse) Rus.-Fr.-It.-Sui. VO (japonais et anglais) 2005 110' ; R. A. Sokourov ; Ph. A. Sokourov (video HD convertie en pellicule) ; Son Sergeï Moshkov ; Mont. Sergeï Ivanov ; Déc. Yelena Zhukova ; M. Andreï Sigle, J.S. Bach ; Int. Issei Ogata (Hirohito), Robert Dawson (MacArthur), Kaori Momoi (l'impératrice Momoi) Shirô Sano (le chambellan), Taijior Tamuro (le savant), Georgi Pitskhelauri (l'aide de camp de MacArthur), Toshiaki Nishizawa (Yonai, ministre de la guerre), Kojiro Kasanagi (Togo, ministre des affaires étrangères), Shinmei Tsuji (le vieux domestique).

   En 1945, outre Hiroshima, après l’écrasement sous les bombes des principales villes, et le quasi anéantissement de l’appareil de production, journée décisive de l'empereur Hirohito, descendant de la déesse du soleil Amaterasu Ômikami. Le protocole du déroulement de la journée lui est annoncé par le chambellan dans l’abri souterrain aménagé sous le palais : 10h, conseil avec les ministres et les chefs de guerre, 12h études scientifiques, 14h, déjeuner, 15h, sieste, 16h travaux d’écriture et courrier.
   Il ressort du conseil que l’opinion majoritaire est contre la reddition. L’empereur fait entendre une voix discordante en s’exprimant par métaphores. Puis, travaux de laboratoire où éclate la passion de l’empereur pour les créatures sous-marines. Après la sieste il a une vision apocalyptique de son pays. Il est interrompu dans la rédaction d'une lettre destinée à son fils aîné par l'arrivée des Américains. On le conduit courtoisement à MacArthur, qui se montre bienveillant, l'invitant même à dîner. Hirohito signe la reddition et renonce à son essence divine.
 

   Minimalisme favorisé par le décor fonctionnel de bunker, image brumeuse à tendance monochromatique et bande-son en rumeurs d’arrière plan, accords étouffés, sirènes incessantes, explosions feutrées, aigres ronrons d'avions,  souffles et résonances métalliques lointaines ; protagoniste tout en outrances mesurées, lenteur du corps, étirement des gestes et tics labiaux sans émission sonore, préférence donnée au haïku sur l’argumentation, objectifs en apparence puérils.
   Le tout composant dans une lumière confinée un monde étrange que favorise le travail de l’image HD sur plan souvent fixe, densifiant son matériau dans l'espace du cadre. C’est dans ce milieu dynastique et sacré, inassimilable à notre humanisme postcopernicien que survient l’impossible, mettant en relief la tension prométhéenne menant au renversement décisif, pour le bien de la famille impériale et du peuple.
   Un
intérêt majeur réside dans le traitement poétique de la vérité, de par le caractère insolite des comportements et situations. L'empereur, qui s'adonne à des occupations en apparence futiles dans le désastre, affiche un calme olympien face aux responsables politiques et militaires ennemis. De plus, un régime de la rupture laisse les actions et paroles en suspens, ce qui n’empêche pas la résolution de Hirohito de mûrir envers et contre tous.
   L’inquiétant arrière-plan sonore est aussi le contrepoint révélateur des silences, versant invisible de l’inanité apparente des gestes dissimulant le profond souci d’une solution pacifique, offensante pour la tradition nippone. Les deux entrevues de l’empereur avec MacArthur sont exemplaires de la discordance entre l’apparence du comportement et l’effectivité de la tournure des événements. Le général américain semble aussi incohérent que son interlocuteur. Et pourtant il favorise la résolution décisive de ce « criminel de guerre » en lui faisant confiance.
   On peut toutefois être gêné par un esthétisme reposant sur le postulat discutable que la peinture doive guider le cinéma. Ce qui entraîne une plastique statique, des moments sublimes qui par là se dérobent à la logique du flux, supposant un matériau en transformation. De même que la partition sonore se contente d’être l’instance dramatisante coextensive du défilement visuel. Il y a là, fût-ce sur un fascinant mode musical, la démonstration du deuxième postulat sokourovien : art suprême, la musique est appelée à élever le cinéma. Manque par conséquent la dimension de la profondeur filmique tendant à l'ubiquité, qui repose sur une logique de réseau associatif sur la base de l'image et du son.
   E
n raison pourtant de sa sobriété, d’une direction d’acteurs irréprochable, de l’humour particulier, passeport pour le tragique requérant un spectateur point trop sot, de l’indépendance d’esprit de la scénarisation, ce film est, à ma connaissance, le meilleur de Sokourov. On ne saurait à cet égard lui reprocher d’escamoter la responsabilité criminelle de l’empereur. Un autre mérite du film est en effet de se garder du jugement moral qui le ravalerait au rang du règlement de compte. Il s’agissait de jeter un certain éclairage cohérent sur une réalité profondément contradictoire. De ce point de vue le contrat est parfaitement rempli. 25/02/09 Retour titres