CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Marcel CARNÉ
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Le Jour se lève Fr. N&B 1939 87' ; R. Marcel Carné ; Sc. Jacques Viot ; Dial. Jacques Prévert ; Ph. Curt Courant, Philippe Agostini, André Bac ;  Mont. René Le Hénaff ; Son Petitjean ; Déc. Alexandre Trauner ; M. Maurice Jaubert ; Pr. Sigma ; Int. Jean Gabin (François), Arletty (Clara), Jacqueline Laurent (Françoise), Jules Berry (Valentin), Arthur Devère (Gerbois), Bernard Blier (Gaston), Jacques Baumer (le commissaire), Mady Berry et René genin (les concierges).

   Dans la banlieue populaire de Paris, l'ouvrier François  rencontre par hasard Françoise, livreuse de fleurs. Tous deux orphelins, ils se plaisent, puis s'éprennent l'un de l'autre mais Françoise ne se donne pas. François découvre qu'elle fréquente le dresseur de chiens Valentin, beau parleur équivoque et cynique. Il tombe sur Clara, la partenaire et maîtresse de celui-ci, au moment où elle le quitte. Une liaison s'ensuit. Valentin vient s'expliquer avec François. Il n'est pas jaloux de Clara, mais déclare être le père de Françoise, et s'opposer à leur relation. Quant à Françoise, elle dément que Valentin soit son père, tolère Clara, et donne pour gage d'amour à François un camée auquel elle dit tenir plus que tout. Mais il se trouve que Clara possède exactement le même bijou. Valentin en avait tout un stock, où il puisait pour en offrir à chaque nouvelle conquête, lui glisse-t-elle.
   Valentin, qui ne veut pas renoncer à Françoise, débarque chez François un revolver en poche. Il fait allusion au camée et à sa signification, avec son cynisme ordinaire : "J'aurais eu tort de m'gêner. J'adore la jeunesse ! [...] Tu veux des détails ?" Le revolver passe dans les mains de François qui abat l'ignoble. À l'arrivée de la police il se barricade dans sa petite chambre au dernier étage. Clara a recueilli Françoise dans sa chambre d'hôtel en face, délirant après une chute due à la répression policière de la foule des ouvriers venus soutenir François sur la place. Après plusieurs assauts infructueux, une grenade lacrymogène est balancée chez François par le toit. Mais il s'est déjà tiré une balle dans le cœur.

  
    En vue de l'intensité dramatique, la narration redistribue l'ordre des actions en commençant par le coup de feu qui abat Valentin, entendu de l'extérieur, à travers la porte de la chambre, auquel succèdent, clôturés par le suicide, trois retours en arrière anamnésiques : 1) Rencontre de Françoise puis de Clara. 2) François fréquente les deux femmes, respectivement pour l'amour et pour le sexe. Puis il rompt avec Clara qui, mine de rien, se venge en évoquant le camée. 3) Meurtre de Valentin tourné à l'intérieur de la chambre. 
   
Dans les intervalles et à la fin, huis-clos de la chambre où, au rythme sourd d'un tambour funèbre accompagnant une mélodie obsédante, François rumine son malheur entre les assauts des forces de l'ordre.
   L'ambiance repose sur un décor crépusculaire. En extérieur, l'immeuble de cinq étages dressé aux proportions d'un cercueil debout parmi les petites maisons de banlieue et les fabriques. À l'intérieur, vertige, en plongée/contre-plongée, de la cage d'escalier qui, projettant l'ombre de ses barreaux sur les portes se veut dénoncer un monde aliéné. Les éclairages sont savamment réglés sur la triste condition du présent de l'intrigue, tenant en une seule nuit jusqu'au petit-jour. Le réveille-matin sonnant pour un cadavre souligne cet atome de néant dans la fourmilière ouvrière s'éveillant alentour.
   Un aveugle étique derrière ses lunettes noires nous plonge encore davantage dans le noir, à se geindre à tout bout de champ perdu au milieu d'événements incompréhensibles.
   Les rétrospectives retraçant l'idylle sont d'un lyrisme sombre à souhait pour mieux nous replonger dans le drame. Séquence de six minutes pour les amoureux dans la serre débordante de fleurs sur de
moroses paroles, soulignées par le désenchantement d'une flûte émergeant des violons. Superbe travail à ce titre de la prise de son, qui permet de parler à mi-voix en mettant en valeur le silence, ceci en accord avec ce registre un peu lassant. Le cabotin Jules Berry est bienvenu pour le coup, à déchirer quelque peu le rideau de grisaille.
   Complaisance dans le lugubre pourrait-on dire. Clara même, qui bénéficie pourtant de la formidable santé dramaturgique d'une Arletty, est dans le déni mélancolique de son amour pour François. C'est pourquoi elle se venge, ne se ravisant en prenant Françoise sous son aile que lorsqu'elle sait François en danger de mort. 
   Ce fameux réalisme poétique ne peut jamais mener bien loin, surcodant d'avance toute lecture. Incontestables, la subtilité de la narration et l'habileté rhétorique ne suffisent pas. Tout se ramène à l'esthétisation du malheur, avec des moyens en "béton" tels que : parfaits décors de studio, hallucinants de réalisme oppressant, modulé par des éclairages ad hoc, musique auxiliaire dictatoriale ou pathos de la jeune orpheline de surcroît orpheline d'un orphelin (voir à cet égard Hôtel du Nord).
   Ce qui n'empêche un travail exigeant et d'incontestables qualités techniques, portant haut surtout la science du son et de l'éclairage, qui doivent se plier à des conditions très particulières, en rupture avec les pratiques ordinaires de l'époque. 
14/08/18 Retour titre