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Les Chasseurs de salut (The Salvation Hunters) USA Muet N&B 1925 65' ; R., Sc., Mont., J. von Sternberg ; Ph. Edward Gheller ; Pr. Sternberg et George K. Arthur ; Int. George K. Arthur (le gars), Georgia Hall (la fille), Bruce Guerson (l'orphelin), Otto Mathiesen (l'homme), Nellie Bly Baker (la femme déchue), Olaf Hytten (la brute), Suart Holmes (le client qui renonce à la passe).
Sur un port malpropre où se drague sans fin la vase, la faim tenaille le jeune homme sans travail mais que soutient son amour pour la fille soumise aux mêmes conditions. Ils séjournent sur le dragueur où une brute, que la fille a repoussé avec mépris, maltraite un orphelin. Taxé de lâche par la jeune femme, le jeune homme, qui n'osait intervenir, prend en tremblant le petit sous son aile. Tous trois espérant trouver une issue en allant à la ville y sont pris en charge par un louche individu, qui promet de leur trouver du travail et leur offre le toit, point le couvert, préméditant la faim mettre en son pouvoir la fille.
Celle-ci songe en effet bientôt à se prostituer pour nourrir les siens, mais son premier client découvrant la petite famille renonce à la passe et donne de l'argent au gamin après l'avoir tendu en vain successivement à la fille et à son compagnon. Changeant de tactique leur hôte décide de les promener en voiture à la campagne où il pense que la fille se laissera embobiner. Mais comme il maltraite l'enfant qui faisait obstacle à son entreprise de séduction, il est rossé par le jeune homme. Tous les trois repartent au soleil à travers champs, la fille accrochée amoureusement au bras de celui qui est désormais son homme.
Ce petit film rompt si bien avec la production dominante du temps qu'il fit engager immédiatement Sternberg par United Artists. Premier film, bouclé en trois semaines et tourné en extérieurs sur un dragueur prêté, avec quelques scènes de studio et un budget aussi ridicule que fictif de six-mille dollars via une escroquerie (salutaire à l'existence du film) de l'acteur principal et producteur ; les économies de Sternberg durent y passer. Mais film indépendant ! L'actrice principale est une ancienne figurante, ni belle ni sensible selon le réalisateur, mais qui appliquait à la lettre les instructions, ce qu'il considérait la qualité maîtresse pour un acteur. Il lança si bien Georgia Hall qu'elle eut le rôle principal dans La Ruée vers l'or.
En bref les moyens du bord que sont l'eau du port polluée de débris divers pourrissants, la machine flottante, un canapé de bordel, un trophée de taureau venant coiffer un instant la tête du souteneur, de vieilles pancartes et quelques pauvres masures, vont être le matériau qui, sous la forme d'ombres travaillées de lumière et non de corps illuminés comme des monuments, va permettre de penser cette donne de départ qu'il y a deux sortes d'êtres, les enfants de la vase et ceux du soleil. Le jeune homme dit se situer entre les deux. Il oscille comme les reflets dans l'eau des silhouettes humaines que dissipe aussitôt à l'image un caillou jeté. Mais croit que le dragueur peut ramener toute la vase du fond au soleil. "Quittons la vase" lance-t-il. La fille, dont il est dit qu'elle est tirée elle-même de la vase, toujours aussi désabusée qu'en apparence indifférente à l'amour de son compagnon d'infortune déplore : "Il y en (de la vase) a partout". Le dragueur est une mécanique maléfique et vaine. Au fur et à mesure que la gigantesque mâchoire remonte sa charge boueuse, la rive s'effondre. Son mouvement plongeant au bout du bras articulé rythme par force l'inaction des protagonistes en passant à l'avant-plan. Les figures arachnéennes de la mâchoire articulée et des cordages constituent l'écriture de leur assujettissement au monstre. Il aura fallu l'arrivée d'un orphelin, force neuve réveillant le courage pour qu'un amour puisse enfin s'épanouir au soleil. 20/10/2017 Retour titres