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CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Quentin DUPIEUX
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Rubber  Fr. (en angl.) 2010 82' ; R., Sc., Mont., Q. Dupieux ; M. Q. Dupieux et Gaspard Augé ; Pr.  Realitism Film, Elle Driver, Arte France Cinéma ; Int. Roxane Mesquida (Sheila), Jack Plotnick (l'organisateur), Stephen Spinella (Chad, le shérif), Wings Hauser (le paralytique).

  

  Le tournage d'un film fantastique est suivi aux jumelles par des spectateurs  situés à distance dans le même univers spatio-temporel. C'est-à-dire en temps réel, sans équipe technique ni caméra ni projecteur. Un non-film.
   Dans le désert, Robert (évoquant rubber) le
pneu s'éveillant à la vie se découvre des pouvoirs psychotélékinésiques meurtriers qui lui permettent de faire exploser à distance les êtres vivants. Il tombe amoureux d'une jeune conductrice, Sheila, et après avoir assassiné un automobiliste qui avait entravé sa poursuite, l'espionne sous la douche au motel avant de s'installer dans la chambre voisine où il assassine Martina, la femme de ménage qui l'avait surpris lui-même sous la douche.
   La police d'abord sur les dents suspend ses recherches devenues inutiles à l'annonce de la mort des spectateurs, empoisonnés par les organisateurs. Le shérif Chad invite ses collègues à tirer sur lui-même pour prouver qu'on est dans une fiction. Il est indemne en effet, mais Martina est morte pour de vrai et un spectateur paralytique a survécu. Il leur faut donc reprendre l'enquête.
   Après maintes hécatombes, le pneu est repéré dans une maison isolée devant la télé à côté du cadavre de l'occupant légitime. On lui tend en vain un piège sous la forme d'un mannequin bourré d'explosifs à l'effigie et avec la voix de Sheila. Alors que, afin d'accélérer l'action
sous la pression du spectateur paralytique survivant, il est massacré au fusil mitrailleur, ses pouvoirs se transfèrent à un tricycle d'enfant. Renonçant à sa belle, il prend la route d'Hollywood suivi par une troupe formée des pneus abandonnés sur les bords, qui se lèvent au fur et à mesure de son passage. 

   Le pneu est filmé comme un personnage avec gros-plans physionomiques des rainures et plans moyens ou larges d'action. Les procédés habituels d'accentuation par la caméra et la bande-son musicale sont au rendez-vous. À part une mention spéciale pour l'acteur Plotnik, on appréciera surtout ce qui est rendu nécessaire par la diégèse, par exemple l'effet d'iris du surcadrage du pneu, ou les reflets du même dans les lunettes noires du flic, tels de gros yeux investigateurs (pour le reste le commentaire rejoint celui de Wrong à la suite).
   Mais au-delà du fantastique s'adressant aux vieilles tendances animistes sommeillant en tout un chacun, l'intérêt est dans le questionnement du rapport entre réalité et fiction. Comme il est dit au prologue (Why can't we see the air around us ? - No reason !", etc.), rien n'a de raison, donc il n'y a pas vraiment de différence entre le vrai et le faux, profession de foi de l'absurde et de la dérision absolue. Ne servant à rien, le désert californien est le décor idéal et tout acte qui serait normal dans le monde des catégories bien tranchées est soumis à une totale réévaluation critique. Quelqu'un fait remarquer à un spectateur tenant une caméra qu'on n'a pas le droit de filmer le film. Il y a là un clin d'œil relatif à l'hystérie des droits, particulière au monde du spectacle. Ou devant le pneu que Chad a démonté à grand peine pour montrer à ses collègues à quoi ressemble Robert, un collègue lève la main pour demander s'il est noir. Le non-sens du démontage de pneu introduit la dérision de la négritude d'un pneu, effectivement noir pour d'autres raisons. Ou encore, un (faux) père maltraite son (faux) garçon qui dit avoir vu un pneu vivant : critique du dogmatisme autoritaire. Il a fallu que la tête du même explose sous les yeux du flic pour que celui-ci admette enfin que l'assassin est un pneu.
   Et de vieux pneus qui accomplissent leur rêve d'aller à Hollywood, ce n'est guère tendre pour le cinéma dominant. 11/06/2019
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