CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Giuseppe DE SANTIS
Liste auteurs

Riz amer (Riso amaro) It. VO N&B 1949 108' ; R. G. De Santis ; Sc. G. De Santis, Carlo Lizzani, Gianni Puccini, Corrado Alvaro, Carlo Musso, Ivo Perilli ; Ph. Otello Martelli ; M. Goffredo Petrassi ; Pr. Lux (Dino De Laurentis) ; Int. Vittorio Gassman (Walter), Doris Dowling (Francesca), Silvana Mangano (Silvana), Raf Vallone (Marco), Checco Rissone (Aristide), Nico Pepe (Beppe), Adriana Sivieri (Celeste).

   Traqué par la police, l'affreux Walter a confié un collier volé à sa complice Francesca, qu'il met dans le train des "mondines", travailleuses saisonnières de mai aux rizières de la vallée de Padoue. Fasciné par les mensurations phénoménales de la mondine Silvana il ne peut résister, au risque d'être pris, à la faire danser dans la gare avant le départ du train spécial. Aux rizières, les femmes occupent les casernements d'une compagnie militaire. Francesca et Silvana font la connaissance du beau sergent Marco, dont la personnalité rassurante et protectrice touche Francesca, malgré la préférence marquée de celui-ci pour Silvana. Francesca fait partie des clandestines, amenées à forcer les cadences pour se faire admettre. Silvana s'est emparée du collier et dresse les mondines contre les clandestines.
   Mais la solidarité des femmes l'emporte et les clandestines sont intégrées. La paysanne Silvana se passionne pour la vie mouvementée de Francesca, la citadine à qui le collier est restitué. Mais Walter débarque un soir à l'heure du délassement général. Il danse avec Silvana, laquelle n'a pu s'empêcher de reprendre le collier, qui brille à son cou. Un large
cercle admiratif se forme. Marco survient. Une bagarre s'ensuit pour les beaux yeux de la danseuse. Walter, qui se cache dans la grange, recrute des hommes-parasites du camp afin de s'emparer du stock de riz. Pour justifier le préjudice causé aux copines, il révèle à son ancienne complice que le collier est faux. Silvana convainc Marco qu'ils ne sont pas faits l'un pour l'autre.
   Pendant que, lasses d'attendre, les mondines se mettent au travail malgré la pluie qui dure, Silvana va retrouver Walter qui la viole en pleine boue. En même temps une des saisonnières avorte d'épuisement au bord de la rizière. Francesca la porte dans ses bras. Après avoir offert le collier à Silvana, Walter requiert son aide pour l'enlèvement du stock de riz à la faveur de la fête de clôture. Silvana, qui vient d'être élue reine de beauté des mondines, ouvre les vannes pour détourner l'attention tandis que la petite bande s'est emparée des camions. Pendant qu'on s'efforce d'endiguer les dégâts, Francesca prie Marco, juste démobilisé, de l'aider à l'empêcher. Marco est poignardé à l'épaule par Walter, que Francesca blesse par balles. Mais Silvana tue son amant, ayant appris que le collier est faux, puis met fin à ses jours en se jetant dans le vide du haut de la tour de bois dressée pour la fête. Chacune des mondines verse quelques grains de riz sur le corps avant le départ, y compris Francesca, avant de filer avec Marco.

   Polar manichéen hypocritement érotique, mettant à profit le goût néoréaliste du côté social et documentaire pour se faire une virginité.
   Parmi les quatre personnages principaux, seul Walter paraît vraiment schématique comme petit truand sans scrupules bourré de tics appropriés, fût-il le grand Gassman.
   Tout s'ordonne pourtant de manière schématique au bien et au mal. Marco et Francesca représentent le bien sans être caricaturaux, et Silvana le plaisir qui conduit au mal. Ce sont les sous-vêtements, blancs de l'une, noirs de l'autre qui
différencient les deux femmes pour le spectateur qui aurait mal compris, mettant à profit l'érotisme souligné par le chapeau masculin qui les sépare, accroché au mur, selon la bonne règle qui ne manque jamais de s'appliquer ici : l'exhibition des corps féminins plus ou moins vêtus ne manque pas de s'accompagner d'une figure de voyeur aux alentours, fût-ce un visage masculin dessiné sur le mur à l'arrière-plan.
   Surtout, l'intrigue impose une polarisation stricte abolissant les nuances possibles liées aux caractères. Le méchant meurt et celle qui n'a pu résister à sa volonté se suicide, n'ayant pas la ressource du rachat. En revanche, Francesca est transformée en sainte, portant dans ses bras, détachée en tête du groupe sous une pluie battante, la femme à la fausse-couche, alors qu'il y avait là suffisamment de bras et de quoi faire une civière. Un plan plus serré montre son honnête visage plein de gravité (mais avec faux-raccord non-intentionnel sur la coiffure) tout en soulignant sa tenue sombre et
décente à l'inverse du joyeux éclat des cuisses du peloton.
   Ce genre d'acte gratuit illustre la plus grande faiblesse du film : l'emphase à fin démonstrative toujours teintée en sous-main d'un érotisme gratuit. Les mondines sont disposées en un large cercle autour du corps recouvert d'une couverture - le large cercle est un tic du film invitant au cirque du spectaculaire. La caméra sur grue s'élève et décrit ce cercle de gauche à droite au fur et à mesure que les femmes se
découvrent par un ample geste de la main tenant le grand chapeau de paille. C'est donc le mouvement d'appareil qui commande l'action, ce qui est profondément artificiel et prétentieux. La grue : emphase supplémentaire.
   Dans la même veine de boursouflure rhétorique fallait-il que Walter atteint d'une balle succombât suspendu à un crochet de
boucher, carcasse parmi les carcasses, au prix d'un savant tour de ruse scénique ? La composition du plan dispose les quartiers de viande de façon suggestive, inépuisable cliché éculé (il faudrait dresser le catalogue des films qui en usent, mais aussi des versions parodiques !)
   Ces scènes sont conçues à l'évidence pour le pathos facile et non pour l'émotion vraie. Elles relèvent de la recherche systématique de l'
effet, auquel le cadrage ne fait pas exception. Voir les mondines au travail à travers le surcadrage des jambes écartées de l'une d'elles : procédé inspiré du style des cartes postales, affriolantes de surcroît. Ou bien l'ombre du barreau de l'échelle sur le visage de Walter pour illustrer par une hardiesse impérissable du cadre le masque du voleur évoqué auparavant par Silvana. Ou encore tout à la fin, la contre-plongée réaliste-socialiste (l'auteur fut un membre influent du parti communiste italien) du couple minéralisé face, regards longue portée, suggérant d'impatients gamètes militants, dédiés au développement futur des classes laborieuses. De même, le geste d'offrande funéraire de la poignée de riz emblématique, imité par toutes dans un bel ordre jusque dans son emphase, est trop bien voué à impressionner les foules pour laisser au spectateur la moindre liberté.
   L'érotisme (à usage masculin comme il se devait alors) quant à lui est une attraction cautionnée par la dimension documentaire : des cuisses nues à satiété par alibi technique (travail dans l'eau), celles de Silvana soulignées par des bas noirs
de cancan, au désavantage de la maigrichonne, dont le tee shirt noir fait pièce en damier. Protection contre le froid de mai ? Tout est de surcroît prétexte à se promener en tenue légère et à adopter des postures suggestives, sauf pour Francesca qui, quand elle se penche en avant est cadrée, elle, face-caméra. Le charme érotique de Silvana repose d'ailleurs sur un étrange paradoxe : son corps épanoui offre l'image de la fécondité lors même qu'elle se présente comme pur objet sexuel, excluant le "fardeau" des conséquences. Elle-même d'ailleurs rejette Marco, homme trop sérieusement épris. Pire, elle s'attache à son violeur, comme à son nirvana.
   À l'inverse, c'est le comportement chaste qui mène Francesca à l'amour. Le rôle de la tigresse en combinaison cadrée en contre-plongée est dévolu à une inconnue pour compléter, en catimini, la galerie
. En bref, il n'y a que de la chair de premier choix, ce qui est contradictoire avec la prétention naturaliste. Et les compensations morales affichées relèvent de la fausse pudeur : l'avortement est ostensiblement ravi aux regards par le groupe compact des femmes penchées et s'affublant de sacs de riz contre la pluie (guère seyants : Francesca en est donc dispensée) comme des sorcières. Et la paire de jambes "cartepostalesques" surcadrant les mondines au travail est chastement habillée d'un pantalon retroussé jusqu'au genoux seulement.
   On constate que globalement, de façon subtile et par hypocrisie de bénitier, c'est pour mieux le punir que le sexe constitue une attraction cardinale. Francesca avait elle-même avorté au grand soulagement de Walter. Le secours qu'elle porte à la mondine est comme un acte de rachat. Il y a trois sortes d'avortement : celui, noble, de l'ouvrière sur la brêche, celui, non moins noble, de la belle repentie (Francesca) et celui qui n'aura jamais lieu en raison du refus de la femme de s'accomplir en tant que telle (Silvana). Cette idéologie sous-jacente n'était pas faite pour déplaire à la censure.
   En bref un film diaboliquement habile, pleinement soumis au star-system sous des dehors artistiques engagés, d'une profonde rigidité morale contrairement aux apparences racoleuses, et qui pourtant continue de faire illusion plus d'un demi-siècle après sa sortie ! En est cause, le conformisme, forme de paresse consistant à s'approprier la première bêtise venue pour s'épargner le colossal effort du jugement personnel. 4/08/05 
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