CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Alain CAVALIER
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La Rencontre 1996 70’ ; R. A. Cavalier sur caméra DV, avec la collaboration de Florence Malraux et Françoise Widhoff, ainsi que l’assistance de Patrick Blossier, Marie-Christine Damiens, Philippe Dayan, Roger Diamantis, Florent Lavallée, Jean-Pierre Limosin, Jacques Mercier, Hengameh Farrahi, Bruno Patin ; Pr. Les Films de l'Astrophore.

   La rencontre, c’est celle, amoureuse, de Françoise et d’Alain il y a peu. Quelque cent soixante-dix plans en majorité fixes et autant de stases précieuses, figures (métonymies, synecdoques et métaphores) comme enchâssées dans le cadre et commentées par les voix des protagonistes, c’est-à-dire déployées dans le hors champ infini de l’amour engagé dans la réalité du temps, des lieux, des animaux, des plantes, de la filiation, de la mort. "N’a été filmé qu’un dix millième de nous", conclut Alain hors champ, ne tombant pas dans le mythe du réalisme ontologique, de la capacité du cinéma au reflet total.  
   Le très gros plan associé à la lumière fait, de l’ordinaire, des objets précieux  (un caillou, une feuille morte, des billes de verre), qui renvoient à des récits, à des événements personnels plus ou moins décisifs mais tous chargés de sens. Au point qu’Alain trouve plus de beauté dans une modeste chambre d’hôtel visitée par quelque rayon solaire que dans les vitraux d’église de son enfance avec lesquels il a voulu renouer pour en restituer le bleu inimitable.
   Mais la thématisation de la couleur bleue glorifiée par la lumière naturelle au fil du film montre la vanité d’un tel recours à la chose belle par elle-même. Ce qui importe c’est la façon dont la caméra capture la réalité et construit un objet filmique sans précédent. 
   Des réseaux se forment ainsi qui interfèrent entre eux. La mort - mort du père et de la mère de Françoise, des oiseaux, du chat - par le truchement des métonymies, interfère avec l’amour.
   Amour impalpable ou palpable. Impalpable de l’intimité des voix (grain, mélodie, idiotismes et accents), qui font détester les voix trop habiles, professionnelles, des acteurs de cinéma. Impalpable de la force du lien qui transparaît à travers la parole anecdotique et triviale. Palpable : par les synecdoques du corps, jamais rendu abstrait par un cadrage anthropométrique (en pied) : bouts de chair, à peine quelques fragments de visage de Françoise et le reflet d’Alain filmant un tableau protégé de plexiglas. Doigts au bout des mains surtout, présentant les babioles intimes.
   Le sexe n’est jamais montré, mais suggéré sous la pression du contexte, celui de la femme, par métaphore dans les fleurs et les fruits, l’intérieur rouge d’une pastèque, l’abricot que l’on ouvre en l’étirant de part et d’autre du noyau. C’est moins le sexe que le mystère célébré une fois franchies les neufs portes (et autant de plans) conduisant au lit de Françoise. Mais des portes concrètes, singulières, usées, cent fois ripolinées, aux poignées ternies, ou au contraire patiemment fourbies au long des années, désignant la culture d’un lieu et le savoir-faire d’un artisan d’autrefois, par où le temps recouvre de belle patine sa propre cruauté.
   Les êtres faibles, les oiseaux surtout, pointent la fragilité de la vie, le caractère transitoire d’une existence amoureuse et d’une vie tout court. La mort est omniprésente comme ce qui rend cet amour encore plus unique d’être voué à disparaître un jour, comme le souligne un jeu sur les montres que l’on s’offre et le vieil oignon d'or détraqué du grand-père disparu. Les boîtes, les insectes naturalisés sous verre, les animaux morts, les vitres de séparation et le plexiglas, les fleurs vives ou mortes, génèrent un réseau intimement tissé dans la trame de ce récit autogénéré par le jeu des images, des sons et des paroles, davantage que sous le contrôle de l’auteur qui s’y pose.
   Ce qui se présentait comme un inventaire autobiographique s'avère finalement être un poème. Car, contrairement à la rhétorique, qui exalte le filmable, la poésie pointe l'infilmable, ici l'amour d'un couple ;
à la différence de René (2002) du même auteur, récit du régime amaigrissant d'un comédien obèse.
   Ce long métrage, bien que fiction en ceci qu'il fait du désir de reconquérir l'épouse qui l'a plaqué l'axe souterrain du film, reste un documentaire, c'est-à-dire essentiellement référentiel, se rapportant à du filmable inépuisable, matériau brut, non transformé à des fins intrinsèques.
   Godard, qui le tenait de Reichenbach interviewé par lui dans le n° 685 de la revue Arts datée du 27 aout 1958, écrivait en 1959 : "tous les grands films de fiction tendent au documentaire" (in Jean-Luc Godard par lui-même, Ed. Pierre Belfond, p. 225). Parole d'Évangile, puisque le bruit assourdissant court toujours qu'il n'y a pas de différence entre art et documentaire. Signe du temps : la banalisation, corrélat du consommable, met la haute spiritualité à la portée de tous. Ce ne serait donc pas au public de s'élever, mais à l'art de s'abaisser jusqu'à ceux qui n'ont d'autre effort à fournir que de sortir un porte-monnaie pour accéder à la salle obscure. 14/01/09 
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