CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Raoul WALSH
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The Regeneration USA Muet N&B 1915 70' ; R. R. Walsh ; Pr. Fox ; Int. Rockcliffe Fellowes (Owen adulte), Anna Q. Nilsson (Marie Deering), Carl Harbough (Ames, le procureur général).

   Lower East Side de Manhattan. Orphelin à dix ans, Owen est maltraité par les voisins qui l'ont recueilli à la mort de sa mère. À dix-huit ans, il défend aux poings un jeune bossu. 
À vingt-cinq le voilà chef de gang. Mary Deering appartient à la haute société. Son ami Ames, procureur général qui a déclaré la guerre à la pègre l'emmène avec des amis s'encanailler dans un café concert du East Side, où traîne Owen. Reconnu, Ames est malmené par les voyous. Owen s'en réjouit puis se ravise lorsqu'il lit l'effroi dans les yeux de Mary. Contenant les agresseurs il conduit les bourgeois jusqu'à leur automobile. À la suite de ce passage dans les bas quartiers dont la misère l'a frappée, Mary travaille dans une association caritative.
   Elle invite la bande d'Owen à une fête de bienfaisance sur un bateau où un mégot oublié par le borgne Skinny, acolyte d'Owen, provoque un incendie. Owen participe avec ardeur au sauvetage des enfants. Il n'y a aucune victime. Une autre fois, la jeune femme fait appel à lui pour récupérer un bébé pris en otage par un père violent et alcoolique. 
À ces occasions se révèle la bonté foncière du hors-la-loi. Par sa douceur et sa patience Mary l'amène dans le droit chemin.
   Un jour Skinny, qui a été élu chef depuis la conversion d'Owen, poignarde un flic. Il supplie l'ancien caïd de le cacher. Déchiré, Owen ne peut refuser en raison d'une dette morale. Mary découvre que son protégé a mal agi. Elle en est d'autant plus malheureuse qu'il vient de lui offrir un bouquet de fleurs. Elle tente malgré tout de le retenir, mais il veut régler lui-même cette affaire. Il écrit un mot de rupture à Skinny, le fait porter par le bossu qui lui est dévoué à vie et va se confier au curé. Espérant y trouver celui qui lui est sans doute plus cher qu'elle ne le croit, Mary se rend au repaire de la bande dans un sous-sol.
   Entre-temps les bandits se sont vengés du message en assommant le messager. 
À l'arrivée de Mary, ils le cachent sous l'escalier. Revenu à lui, l'infirme comprend que Mary est dans la gueule du loup. Il se glisse dans une bouche d'aération et va prévenir Owen puis la police. En lui laissant croire qu'elle y trouvera Owen, Skinny persuade Mary de le suivre dans les étages et tente de la violer sous les combles. Owen survenant enfonce la porte mais Skinny tire un coup de revolver qui atteint mortellement Mary. Owen assiste à l'agonie de sa bien-aimée transportée au local de l'association, puis court se venger. Il surprend le meurtrier sur le point de s'enfuir, et l'aurait tué si une apparition de Mary ne l'en avait empêché. Skinny prenant la fuite suspendu aux cordes à linge tendues entre les façades est abattu par le bossu. 

   Malgré la mièvrerie de l'intrigue, film d'une modernité surprenante où se sent l'école de Griffith (qui envoya Walsh en 1914 filmer Pancho Villa au Mexique). Le tournage dans des décors réels avec un souci de vérité documentaire et de témoignage de la
misère des bas-fonds, une direction d'acteurs remarquable, bannissant les excès mélodramatiques du temps, des images empreintes de lyrisme, des effets symboliques(1), des éclairages étudiés souvent subtilement, une utilisation discrète mais avisée du travelling et une conception du montage déjà consciente de la nécessité au cinéma d'un jeu sur la discontinuité constitutive de la pellicule.
   Le col, les cheveux ou les fleurs en pot de Mary légèrement soulevés par un souffle d'air traduisent avec lyrisme la douceur des sentiments. À la mort de Mary, comme une larme, un pétale se détache
du bouquet offert par Owen. L'ombre d'une potence projetée au mur prédit le destin de Skinny. Le visage radieux de Mary à l'agonie étreignant Owen exprime l'amour avec d'autant plus de force que la souffrance est éludée. Davantage, le jeu des éclairages en demi-jour cernant les corps enlacés évoque un lien surnaturel. Grâce au travelling vertical haut-bas, Owen semble subir le poids du cadre alors que renonçant à étrangler Skinny, il s'assoit accablé par l'apparition de Mary.
   Le montage parallèle systématique épargne au film la linéarité fastidieuse : pendant qu'Ames lit le journal de May favorable à Owens, celui-ci dans une pièce voisine cache Skinny. En même temps, Mary admire le bouquet dans une troisième pièce... Tous les fils de l'intrigue ont l'air de se nouer simultanément. Enfin, la chute de Skinny dans le vide est plus tragique d'être décomposée en deux plans, le passage d'un plan à l'autre n'étant plus de l'ordre de la représentation
(2) mais du langage filmique, surtout en considérant le changement d'échelle. Il se joue comme une coupure absolue et donc vertigineuse qui serait en outre artificiellement surmontée par la dérisoire rationalisation du raccord dans le mouvement.
   Ce sont bien les débuts d'un cinéaste hors-pair, aux idées conventionnelles. 4/05/04
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