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Reflets dans un œil d'or (Reflections in a Golden Eye) USA VO Scope-couleur 1967 109' ; R. J. Huston ; Sc. Chapman Mortimer, Gladys Hill, d'après Carson McCullers ; Ph. Aldo Tonti, Oswald Morris ; M. Toshiro Mayuzumi ; Pr. Warner Bros/Seven Arts ; Int. Marlon Brando (major Weldon Penderton), Elizabeth Taylor (Leonora Penderton), Brian Keith (lieutenant-colonel Langdon), Julie Harris (Alison Langdon), Robert Foster (Williams), Zorro David (Anacleto).
La vie sexuelle dans la Cavalerie. Pourtant piètre cavalier, le major Penderton s'intéresse beaucoup au soldat Williams, qui monte à poil et à cru. Leonora, épouse délaissée, trouve des compensations, outre l'étalon Firebird, avec le lieutenant-colonel Langdon, mais c'est à son insu que Williams se glisse nuitamment dans sa chambre pour la contempler en reniflant son linge jusqu'à l'aube. L'épouse de Langdon passe pour folle parce qu'à la suite de la perte d'un bébé, elle s'est mutilé au sécateur le bout des seins. La compagnie constante de son majordome Anacleto, asiatique efféminé d'une sensibilité artistique étrange aux hommes martiaux, lui est vitale. Trop d'inoffensives et douces extravagances aux yeux de la communauté dominante, entraînent finalement son internement, auquel elle se soustrait aussitôt par un infarctus fatal. Pour finir, Weldon Penderton ayant surpris Williams dans sa contemplation impie l'abat.
Par l'analyse sociale qui la sous-tend, cette simple intrigue suffit à donner le ton, d'autant plus satirique que la distance est grande : par le recul du temps (l'intrigue se situe à une quinzaine d'années en arrière à en juger par les modèles de voitures), par l'apparente neutralité d'une narration en fait ironique (notamment au moyen du plan fixe prolongé au-delà de ce qui est nécessaire), par le cynisme d'un dialogue outrepassant le statut des personnages, par la distanciation de deux grands acteurs : Brando (Galerie des Bobines) et Taylor, et enfin, hélas, par la musique auxiliaire(1), qui est davantage un anesthésiant de l'émotion directe de l'image qu'un procédé de mise en perspective.
Les reflets dans un œil d'or, ce sont ceux des travers de la bourgeoisie militaire réfractés dans les prunelles d'un singulier voyeur appelé Williams, littéralement mis en scène par le très gros plan d'un œil dans lequel se reflètent les avatars d'une communauté en conflit avec sa sexualité. Voyeur inspiré par l'or de la lumière, de la vie, de l'amour : celui porté à Leonora et aux chevaux. Il appartient à la communauté opposée des humbles : Alison Langdon, Anacleto, le capitaine Weincheck - qui, trop fin et cultivé, sera poussé à démissionner -, les soldats du rang dont le regard ironique se pose sur la suffisance des chefs, enfin les chevaux et la nature en général.
Être futile mais naturel, Loenora se situe entre les deux pôles en raison de son authentique inclination pour les écuries, et de son inconvenante simplicité avec les subalternes de son mari. Elle ne désapprouve pas le comportement du cavalier nu entraperçu dans la forêt au grand scandale de son époux. Elle établit en outre un sain parallèle homme/animal en soulignant nettement à son conjoint, par un arrêt marqué du balancement de son escarpolette, que Firebird est un étalon, lui. Mais surtout remarquera-t-elle à une autre occasion, "un gentleman" par sa douceur, et il n'est pas indifférent que ce soit ce même qualificatif qu'Alison applique pour sa part au capitaine Weincheck tout en lui tricotant fraternellement un pull. Leonora, mettant sur le compte d'une sortie avec des juments les égratignures de l'étalon, n'est-elle pas - au point de vue ironique du récit - jalouse ? Firebird, posté au premier plan, n'est-il pas de plus associé à ses ébats avec le lieutenant-colonel derrière un buisson de mûres ? Elle se trouve elle-même identifiée à la plus noble conquête de l'homme : lorsque, à quatre pattes, elle présente à son mari - qui exprime son dégoût - sa croupe sanglée dans une culotte d'équitation isabelle ou encore dans la façon qu'a Williams d'adorer la nuit sa combinaison de soie, maniant les bretelles comme des rênes.
Son époux ne veut maîtriser Firebird que pour la mater elle. Désarçonné en réponse à sa brutalité, il administre une sévère correction à l'animal et prétendra, par une coïncidence symboliquement significative et hautement ironique d'énonciation, être tombé dans un buisson de mûres. C'est Leonora qui le soumet comme un canasson vicieux, en cinglant sauvagement de la cravache son visage déjà lacéré.
Cependant, laissant Weldon blessé rentrer à pied, Williams a ramené d'autorité Firebird à l'écurie pour le soigner. Il se prélassait à proximité toujours aussi nu, son cheval noir paissant librement, au milieu d'une nature animée par le souffle du vent et les chants d'oiseau, qui sont les complices de la vérité vitale de l'amour. En ne soufflant mot, Weldon trahit sa faiblesse. Plus tard il se montre ostensiblement aussi indulgent avec Williams qu'injuste à l'égard des autres subalternes. Il ne tue pas le jeune homme pour l'honneur, mais par jalousie homosexuelle, parce qu'il avait cru l'effraction risquée pour ses beaux yeux. C'est un individu égocentrique perdu dans ses lubies alors même qu'il prononce une conférence de stratégie militaire : "le chef est une question de mesure" profère-t-il en se désignant lui-même par la frappante paronomase (en VO) mesure/major. Ses airs impénétrables ou renfrognés, ses larmes de rage - de grands moments à compter dans les annales cinématographiques éternelles - dessinent la figure d'un grand enfant gâté qui ne connaît au monde qu'un seul droit : le sien. Des éclairs d'humanité semblent parfois le traverser, avant qu'on réalise que ce n'était qu'égocentrisme. À Langdon faisant remarquer que l'armée aurait pu dresser Anacleto, il rétorque : "Vous pensez que tout plaisir obtenu en dehors des normes est condamnable et ne peut apporter le bonheur. En bref, vous trouvez qu'il est moralement plus honorable de faire entrer par force le tampon carré dans le trou rond, plutôt que de chercher un moyen non-orthodoxe de l'adapter au trou."
Admirons, à travers le clin d'œil du narrateur, l'équivoque de ces propos, où sous la défense de l'opprimé perce la cause de l'homosexuel frustré. Ayant d'ailleurs ensuite brisé un bibelot auquel sa femme tenait, le major allume nonchalamment sa pipe sans prendre la peine de s'excuser.
Les autres protagonistes "dominants" sont enfermés comme lui dans leur monde. Aussi bien, Langdon confie-t-il à Leonora qu'il croit son mari secoué par la mort d'Alice, laquelle lui est en réalité totalement indifférente : trop occupé par son gibier humain, Weldon a à peine entendu le capitaine lui annoncer le décès.
Cécité qui est la marque du groupe. Elle exacerbe la lutte des classes particulière au film, entre ceux ayant perdu leur humanité et ceux endurant la Passion qui s'y rattache nécessairement. Ce n'est pas à cause de son mari qu'Alison songe au divorce, mais en raison des symptômes du malaise général. La cuiller en argent volée par Weldon au capitaine Weincheck : un point marqué au compte des durs contre les mous. La haine qui s'exprime à travers la déception de Langdon qu'Anacleto ait survécu à une chute dans l'escalier, s'adresse aux rêveurs et buveurs de thé impénitents de son espèce (on rit encore du violon et du thé de Weincheck).
Tout cela ne peut être compris sans avoir apprécié la netteté et la sobriété de facture de cette œuvre étonnante, le meilleur gage de sa force. 12/01/03 Retour titres