CINÉMATOGRAPHE 

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Alfred HITCHCOCK
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Fenêtre sur cour (Rear Window) USA VO couleur 1954 112' ; R. A. Hitchcock ; Sc. J.M. Hayes, d'après C. Woolrich alias W. Irish ; Ph. R. Burks ; eff. Sp. J.P. Fulton ; M. F. Waxman; Pr. Alfred Hitchcock/Paramount ; Int. James Stewart (L.B. Jefferies), Grace Kelly (Lisa Fremont), Wendell Corey (Thomas J. Doyle, le détective), Thelma Ritter (Stella), Raymond Burr (Lars Thornwald), l'horloger (Alfred Hitchcock). 

   Immobilisé durant la canicule par une fracture de la jambe, le photographe de presse Jefferies, amant de Lisa, ravissant mannequin qu'il refuse d'épouser, est posté jour et nuit à la fenêtre de son petit deux-pièces donnant sur une cour entourée d'immeubles, à l'exception d'un étroit passage ouvrant sur la rue. Toutes ces fenêtres béantes en raison des chaleurs sont autant de scènes variées dans leur cadre. Moite voyeur de saynètes plus ou moins secrètes ou
piquantes, intrigué par la disparition de la femme du représentant ("salesman") en bijouterie Thornwald, le reporter subodore le meurtre. Il implique son infirmière (Thelma Ritter, Galerie des Bobines), Lisa et le détective Tom dans une enquête qui s'avérera fondée malgré le scepticisme du détective.

   On admirera le mode très filmique du récit où le mouvement d'appareil et la variation focale tiennent lieu de montage grâce aux cadres dans le cadre, sorte d'ironie de l'ordinaire technique. Le montage proprement dit met l'accent sur l'observateur par les raccords de regard assurant la dialectique regard/chose vue ou chose vue/regard, laquelle se légitime dans le thème avoué du voyeurisme. Le lever des stores au générique promet du spectacle. Le prénom du détective est une malicieuse allusion à l'expression "peeping Tom" (qui se trouve, du reste, à un moment dans la bouche Stella) et les contenus sexuels des tableaux vivants qu'il a sous les yeux (un hélicoptère survole une terrasse où deux jeunes femmes se sont ostensiblement dépouillées de leur pyjama avant de
s'allonger) sont loin de lui sembler indifférents, surtout si cette baguette glissée sous le plâtre avec délice constitue l'élément d'une métaphore de l'onanisme. Sans compter que ce plâtre qui l'emprisonne depuis la taille laisse entendre une abstinence forcée muée en supplice de Tantale par les licences verbales et les tenues suggestives de la merveilleuse fiancée.
   La bande-son est un modèle d'imagination et de savoir-faire. La musique qui, légèrement déformée par la réverbération, semble toujours émaner du voisinage bien qu'à des heures invraisemblables parfois, complète le récit comme un accompagnement diégétisé. Ainsi, la tentative de suicide de "
cœur solitaire", coïncide avec un concert d'adieu exécuté par des musiciens chez le compositeur d'en face, ou bien la nuit de noces est ironiquement introduite sur un air de bastringue. Le jeu sur les sons n'a rien à envier à Tati. Un sifflement de bouche humaine se confond délibérément par deux fois avec le grincement du treuil pour les besoins naturels du chien descendu dans un panier sur la pelouse du rez-de-chaussée. Les rumeurs de rue constituent un fond sonore vraisemblabilisant, amplifié à proportion du grossissement des zooms sur celle-ci.
   Mais la fonction des bruits est en général dramatique. Les klaxons (très partiellement conservés dans la version doublée
(1)) pointent avec malice certains actes intéressants comme les baisers de Lisa. Les sirènes d'ambulance ou de bateaux divers tiennent en alerte l'action. De puissants moteurs de grues s'emballent à des instants stratégiques liés aux allées et venues de Thornwald, notamment à l'enlèvement de la malle contenant les affaires de sa défunte.
   Figure implicite de Landru, celui-ci est identifié à l'officier de marine. Le mot "laundry", paronyme de Landru, est à la fois prononcé par Jefferies ironisant sur le confort bourgeois des "automatical laundries", et inscrit sur un paquet que porte Thornwald, ainsi que sur un fourgon passant dans la rue. "Salesman", le représentant, fait d'autre part sonner à l'oreille "sailor man", le marin. Les échelles de coupée et la terrasse pourvue d'un manche à air s'inspirent du paquebot. Vêtu d'un ciré noir et coiffé d'un canotier le meurtrier essuie le grain sous l'orage. Son voisin le compositeur lave son studio à grande eau comme un pont de navire. La cigarette de "Landru" rougeoyant dans l'obscurité de l'appartement pointe la crémation. De la fumée s'échappe d'une cheminée visible de la fenêtre de Jefferies et le ciel des arrière-plans s'illumine d'écarlate. Tout l'immeuble semble embrasé de l'intérieur comme un four ardent.
   C'est un être terrifiant qui surgit chez Jefferies, visible dans l'obscurité aux seuls imperceptibles
reflets des lunettes. Tous ces éléments impriment un lent rythme complexe propice à une contemplation méritée.
   L
a précipitation du dénouement rompt le charme et sombre dans un happy end de commande très hitchcockien. De même que les mimiques de l'excellent Stewart (Galerie des Bobines), fournissent au spectateur, qui est pourtant bien adulte, le mode d'emploi du spectacle. Kelly sait, elle, par bonheur, rester à sa gracieuse place de princesse s'ignorant encore telle (Galerie des Bobines). 21/01/01 Retour titres