CINÉMATOGRAPHE 

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Stanley KUBRICK
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Orange mécanique (A Clockwork Orange) GB couleur 1971 VO/VF 136' ; R., Sc. Kubrick d'après Burgess ; Ph. John Alcott ; D. John Barry ; M. Beethoven, Purcell, Rossini, Rimski-Korsakov ; Int. Malcom McDowell (Alex DeLarge), Patrick Magee (M. Alexandre), Michael Bates (gardien chef), Warren Clarke (Dim), John Clive (Acteur), Adrienne Corri (Mrs. Alexander), Carl Kuering (Dr Brodsky).

   La petite bande d'Alex (quatorze ans), chemise et pantalon à coque soutenu par des bretelles tout en blanc, melon, canne, maquillage (genre music-hall) et parlant un étrange argot du futur, consomme dans un pub, sur le ventre de statues féminines cambrées, du lait "plus", favorisant l'"ultraviolence", que l'on tire du sein d'une statue obscène. Ils ruent de coups un vieux clochard, attaquent une bande rivale, font une virée furieuse en GT dévastatrice à volant rouge, s'introduisent chez M. Alexandre, un écrivain dont ils violent l'épouse après l'avoir, lui, grièvement blessé. Alex drague deux filles suçant des esquimaux moulés en phallus puis les fourre dans son lit (les filles).
   Son seul signe de civilité est l'amour de Beethoven. Une nuit, il tue sous un phallus géant de pierre la femme aux chats occupant seule une grande villa mais, trahi par ses comparses, est condamné à quatorze ans de prison. Désireux de s'en sortir, il accepte d'être le cobaye du nouveau ministre de l'intérieur. Par une rééducation au réflexe conditionné, on le dégoûte du sexe, de la violence physique, et par-dessus le marché, de Beethoven, associé à la violence dans un des films "thérapeutiques". À sa libération, ses parents l'ont remplacé par un locataire. Solitaire et désespéré, il tombe successivement sur le clochard, ses anciens camarades devenus flics et M. Alexandre. Chacun se venge, ce dernier en l'obligeant à écouter le quatrième mouvement de la Neuvième, ce qui entraîne une tentative ratée de suicide. L'affaire se politise : le ministre est accusé d'avoir des méthodes contestables. Alex, sur qui le traitement n'agit plus, reçoit à l'hôpital la visite du ministre proposant un marché pour qu'il donne de nouveau libre cours à ses tendances.

   La caméra se repaît du sourire carnassier de Malcom McDowell (Galerie des Bobines). C'est en effet caractéristique de la méthode consistant à montrer des choses inquiétantes par elle-même. Pas seulement préexistant au filmage mais aussi répétitives inutilement, comme le gros plan en plongée sur le visage d'Alex, les décors et tenues (perruque bleue de la mère) modernistes (qui ont vieilli), les angles de vue outrés, les perspectives déformées, les travelling tortueux, les sons caverneux, les accents musicaux de la violence.
   Fausse fantaisie dans la façon de traiter la violence comme divertissement de scène : viol sur une scène de théâtre sur l'air décalé de
La Gazza Ladra de Rossini, bagarres/ballets ou agression aux accents de Chantons sous la pluie. On nous inflige en outre des thèmes effrayants ou provocateurs comme le serpent familier, le découpage du vêtement au niveau des seins comme prélude au viol, Alex qui dos-caméra pisse dans le bidet puis se rajuste en se contorsionnant, les écarteurs de paupières, la "chorégraphie" de la quadruple statuette christique (métaphore de la bande) découpée en plans successifs au rythme du scherzo de la fameuse Neuvième, les images "exquises" suscitées par le même : alternance de plans d'explosion, d'incendie, d'une femme la corde au cou sur l'échafaud dont la trappe se dérobe sous elle et du visage d'Alex en vampire aux canines sanguinolentes.
   Mais violence aussi par caméra portée faisant valser l'immense pièce où la femme aux chats va mourir le visage écrasé sous le massif phallus ; ou par l'éclatement de l'image des personnages multipliés dans les miroirs du couloir de l'entrée au sol en damier des Alexandre (cliché qui remonte au moins à
Welles). Cette violence circonscrite à de mauvais garçons est de la bibine à côté d'une violence qui, structurelle, se passerait d'accessoires ad hoc. Bref tout cela force bien dans le bizarre, lequel a tendance à se démoder, à l'instar de Fahrenheit 451 (1966) ou autres Cité des femmes (1980).
   Alors que la version française met en exergue l'artifice gratuit, la VO conserve après plus de trente ans une certaine force. Il a été dit qu'
Orange mécanique avait inauguré la violence au cinéma. Oui, mais à côté de ce qui se fait maintenant (censé valoir par la violence du contenu-même), c'est un chef-d'œuvre, stylisant la violence, par rapport à laquelle du moins un décalage sarcastique se ménage au moyen des emphases distanciées du filmage et du ton des acteurs, dans lequel la fantaisie linguistique joue un rôle éminent. Ce qu'on ne ressent pas dans la version doublée(1) qui, mutilée de l'essentiel effet énonciatif de l'original, dénature totalement cette œuvre. La VO est donc incontournable, comme toujours. Les arrangements sur des bases musicales classiques participent du même délicat travail de collage décalé formant une véritable fugue multimédia. 27/12/00 Retour titres