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Georg Wilhelm PABST
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L'Opéra de quat'sous (générique) All.-Fr. N&B tournage français 1931 114' ; R. G.W. Pabst ; Sc. Leo Lassia, Béla Balàsz, Ladislao Vajda, d'après Bertolt Brecht ; Ph. Fritz Arno Wagner ; Déc. Andrei Andreïev ; M. Kurt Weill ; Pr. Neor Film/Tobis/Warner Bros ; Int. Albert Préjean (Mackie), Florelle (Polly), Margo Lion (Jenny), Gaston Modot (Peachum), Lucy de Matha (Mme Peachum).

   Londres, fin 19e siècle, Mackie, roi de la pègre s'unit à Polly, fille de Peachum le roi des mendiants. Opposé au mariage, ce dernier avertit Tiger-Brown, chef de la police et ami de Mackie que, si son gendre n'est pas arrêté, il fera défiler sa communauté d'estropiés loqueteux aux fêtes du couronnement de la reine. La menace inquiète et Mackie est informé de son arrestation imminente. Il confie la direction de la bande à Polly avant de s'enfuir, mais pas plus loin que le bordel du coin tenu par Jenny, ancienne conquête encore amoureuse. Par jalousie, elle le trahit avec la complicité de Mme Pitchum, puis se ravise et l'invite à prendre la poudre d'escampette par les toits. Mackie en profite pour lever une autre femme dans la rue, ce qui lui vaut d'être pris puis emprisonné. Mais Jenny le fait évader en occupant le gardien.
   Entre-temps, Polly fait preuve de
poigne. Le trésor de la bande est reconverti en banque. Son père lance la horde dans les rues comme il l'avait promis, puis, informé que, maintenant honorable, sa fille assistera au couronnement, tente vainement de l'arrêter. Remercié, le chef de la police est engagé par ses amis banquiers, suivi du roi des mendiants qui a perdu son royaume. 

   Tenu volontiers pour le chef-d'œuvre de Pabst, ce film m'apparaît une adaptation
(1) plutôt sage de Brecht. Voire, la partie musicale, qui était un facteur de liberté supplémentaire du spectacle, non seulement est marginalisée dans le film, mais, surtout, souffre gravement d'une interprétation en français étrangement dépourvue de souffle et de mordant. Le décor à peine éclairé ou baignant dans la brume, même en intérieurs, reconstitue sans surprise l'ambiance des quartiers populaires telle qu'on peut se l'imaginer. De grandes ombres projetées sur les murs dramatisent les actions des personnages, ce qui n'est pas très original. En outre, le cadrage a tendance à mettre un peu trop les points sur les i. On veut nous faire comprendre que nous sommes dans un bordel, en insistant assez lourdement sur la présence de statues nues caractéristiques. Il est d'autres indices possibles, plus économiques et plus inattendus.
   Le plus réussi dramatiquement parlant, est le vaste entrepôt de la pègre où s'entasse le butin, parce qu'il s'inscrit dans une géométrie baroque. Il comporte un escalier central de bois très raide à deux volées conduisant à la porte située sous un plafond de hauteur démesurée, comme si c'était une cave anormalement profonde. Pourtant, un pont-levis au niveau du sol ouvre sur
l'extérieur. Il se peut que, construit sur une forte pente, ce local secret comporte un accès supérieur pour les usagers et un autre inférieur pour les marchandises, à moins que l'escalier ne soit relié aux étages supérieurs d'un immeuble qui en est la couverture. Ce qui impliquerait de devoir d'abord monter pour redescendre ensuite d'une hauteur égale. La troisième dimension ainsi accentuée, renforcée par des plongées et contre-plongées, semble reposer plaisamment sur la notion implicite du "monte-en-l'air", c'est-à-dire du voleur escaladant murs et façades.
   Quant au jeu des acteurs, notons qu'une sorte de distanciation brechtienne fait ici merveille. Il s'agit aussi bien du choix des acteurs dont les physionomies ne font aucun compromis avec les normes en vigueur (voyez Jenny), que des gestes ralentis et élastiques, du ton traînant des personnages, du flegme goguenard d'Albert Préjean, qui engendrent un nonchaloir sarcastique constituant un commentaire du monde officiel. Ce que renforce le registre humoristique. Relevons, avec Polly à la tête du gang, le renversement malicieux des valeurs de la pègre. L'extravagance du régime particulier appliqué au détenu Mackie. La loufoquerie du chef de la police menaçant du doigt comme un enfant un policier colossal, ou encore la satire implicite du policier monté tournant autour d'un poteau comme un cheval de bois.
   Il n'en demeure pas moins que l'essentiel repose sur les données préexistantes de l'œuvre de Brecht/Weill, et que la version française reste une bonne adaptation sans génie. Une fois de plus, le soin du filmage, la mobilité de la caméra, les effets de cadrage, l'unité esthétique des éclairages, la distance spirituelle, etc. n'excluent pas la pénurie d'imagination filmique. Pabst ayant amplement prouvé son génie sur des bases scénaristiques plus triviales donc filmiquement plus maniables n'a, du reste, rien à regretter. 3/3/05
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