CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité



William HAGGAR
liste auteurs

La Vie de Charles Peace (The Life of Charles PeaceMuet GB 1903 14'25 ; Int. W. Haggar et, notamment, une partie de sa famille.

   
 Cambrioleur et meurtrier, condamné à mort, Charles Peace (1832-1879) fut exécuté par pendaison. Le film se compose de certains épisodes de la vie du célèbre criminel, sans manquer l'exécution finale. 
1) Le premier cambriolage de Peace (un plan, studio). Ils pénètrent à deux par une fenêtre et fouillent dans un coffre mais son complice est abattu par la femme du lieu tandis que Peace prend la fuite.
2) 2:12 Peace chez Dyson (un plan, studio). Peace venu jouer du violon séduit la femme de Dyson, qui les surprend et le chasse.
3) 3:08 Le meurtre de M. Dyson (un plan, extérieur-jour, campagne).
Sous les yeux de Peace dissimulé dans un buisson, Dyson décèle un billet doux dans la main de son épouse, qu'il maltraite avant de découvrir son rival. S'ensuit une lutte conclue par le coup de pistolet meurtrier.
4) 4:09 Peace pourchassé chez lui (deux plans, studio). a) Averti de l'arrivée des policiers alors que la famille dansait au son de son violon, Peace enfilant un bonnet de nuit se coule au fond de son lit. Découvert, il grimpe sur le toit au moyen d'une échelle. b) (le toit, studio). Tous ses poursuivants, tombés du toit où à travers les lucarnes, sont mis hors d'état de nuire. 
5) 6:30 Cambriolage à Blackheath (trois plans). a) Extérieur-jour cadrant le rez-de-chaussée d'une maison et un bout de trottoir à l'avant-plan. En compagnie d'un complice, Peace entre dans le champ droite-cadre et s'introduit dans la maison par la fenêtre. Le complice est arrêté par les policiers rentrés un par un dans le champ droite-cadre. Le butin est récupéré par la police mais Peace s'enfuit. b) 7:38 Extérieur jour. Sautant du haut d'un mur percé d'une porte cochère face, Peace échappe encore aux policiers qui l'attendaient au pied du mur, ainsi qu'aux renforts venant du hors-champ. c) 8:09 Extérieur jour, Peace poursuivi franchit face-caméra un monticule de briques.
6) Peace, le pasteur et la police (Un plan, extérieur-jour, chemin dans l'axe à l'orée d'une forêt). Il surgit de la forêt au fond à gauche et court vers la caméra, s'arrêtant à mi-chemin pour se déguiser en pasteur. Aux poursuivants policiers qui surviennent un par un à sa suite il indique des chemins fantaisistes. Il s'avance face-caméra et fait un pied-de-nez à leur intention vers où ils ont disparu hors-champ, mais soudain repart en courant dans l'autre sens.
7) 9:33 Peace capturé par P.C. Robinson. (un plan. Prairie, extérieur-jour). Trois policiers tentent de l'arraisonner. Deux sont mis hors d'état de nuire, le troisième le menotte.
8) 11:14 Peace emmené à Sheffield pour être traduit en justice (Extérieur jour, quai de gare). Le bandit est fourré manu militari dans un compartiment.
9) 11:44  Lutte dans le wagon. (Trois plans du train, extérieur jour) a) Plan de l'extérieur cadrant la fenêtre du compartiment par où Peace tente de sortir retenu par ses gardiens. b) 12:8 Vue rasante du flanc droit du wagon avec décor défilant. Le prisonnier s'expulse en pleine marche hors-champ. Les gardiens penchés à la fenêtre gesticulent. c) 12:24 Voie ferrée en enfilade. Peace en fuite sur la voie face-caméra est rattrapé en raison d'une chute.
10) 12:40 Peace en prison (un plan, mur protégeant une maison située à l'arrière-plan, extérieur jour). Un policier suivi d'une femme entre dans le champ. Ils s'arrêtent dos au mur. Un autre se joint à eux précédant une file de détenus qui traversent le champ au premier plan droite-gauche. La femme après avoir successivement fait non de la tête désigne du doigt le dernier de la série : Peace, qui l'agresse. 11) 13:20 L'exécution (un plan de l'échafaud face, studio). Peace entouré d'un prêtre et de trois gardiens monte à l'échafaud. Il résiste. On lui lie les jambes avant de lui passer la corde puis la cagoule. Un gardien actionne le levier qui libère la trappe. Peace disparaît sous le plancher au bout de la corde tendue
. 

 
   Il faut évidemment compter avec les caractéristiques du cinéma primitif. Fond de décor de studio en toile peinte pour les intérieurs y compris les simulacres d'extérieurs encadrés par les fenêtres, sans retour de mur vers la caméra. Concentration des accessoires pour compenser le nombre limité de plans. Ce qui suppose une échelle de plan suffisante, entraînant une caméra distante.
   Par exemple, dans le premier plan du quatrième tableau, Peace pourchassé chez lui, une échelle se trouve appuyée contre le mur du fond de la pièce, sans qu'on ait à se préoccuper de savoir comment elle peut déboucher sur le toit par où il s'échappe au moyen de celle-ci au plan suivant.
   Sans oublier la gestuelle pantomimique pour compenser la mutité. Mais aussi un hors-champ fourre-tout à l'instar des coulisses. Les personnages rentrent dans le champ, comme des accessoires quand l'action l'exige et en sortent de même. Ce qui donne un ton burlesque quand les nombreux flics arrivent au compte-goutte de façon,
pour les besoins de l'histoire, à laisser la victoire à Peace. Celui-ci sur le toit précipite ses poursuivants dans le vide par les lucarnes ou au bas de la pente dans le hors-champ au ras de la gouttière, tels des pantins jetés au magasin quand on en n'a plus l'usage. Le hors-champ est davantage réserve d'actions et d'accessoires que prolongation de champ.
   La conscience du hors-champ filmique est pourtant réelle, le film ayant le mérite de ne pas vraisemblabiliser les entrées et sorties de champ par,
côtés cour et jardin, des portes percées dans des pans de mur symétriquement répartis aux deux côtés extrêmes, coupant les angles des murs en retour comme cela a pu se pratiquer ailleurs (un seul pan sans mur en retour dans Histoire d'un crime de Zecca, 1901). Il y a même une authentique économie du hors-champ au sixième tableau : débarrassé de ses poursuivants, le faux pasteur ayant adressé un pied-de-nez en direction du hors-champ côté caméra fait brusquement volte-face, au point de perdre son chapeau, indiquant par-là le retour, invisible au spectateur, de ceux qu'il avait égarés.
   Cette précocité de conception de l'espace filmique se confirme dans la mise en jeu de la profondeur de champ, qui permet de cadrer plus long que le cadre ne l'autorise (le train est cadré exactement comme chez Lumière celui de La Ciotat en 1895) et d'allonger considérablement le suivi de l'action. Au deuxième plan du cinquième tableau (cambriolage à Blackheath), c'est en longeant dos-caméra le mur en retour vers le fond en profondeur de champ que Peace s'échappe. Surtout, fait exceptionnel à l'époque, le plan suivant, qui reprend la poursuite de face dans un autre décor est en raccord-mouvement à 180°. Cette maîtrise de la profondeur est inséparable de l'usage des extérieurs, qui témoignent d'une autre audace en se mêlant avec les intérieurs.
   À noter, la qualité acrobatique et la précision du réglage des corps à corps, ainsi que la liberté de la mise en scène. Au premier cambriolage, la fenêtre étant à hauteur d'épaule, de même que l'échelle au domicile de Peace anticipait la fuite par le toit, un tabouret a été placé au-dessous pour préparer la fuite des cambrioleurs. Mais, alors que Peace use de ce providentiel marchepied en
pénétrant dans la pièce, son complice à sa suite saute directement au sol. Ce qui met l'accent sur un accessoire qui aurait dû rester discret pour paraître moins prémédité.
   Une autre forme de liberté, c'est le détail totalement inutile à l'action, qui pourtant lui donne son sel. Par exemple, la présence d'un chien au comportement expressif (comme dans La Sortie des usines Lumière) alors que Peace joue du violon chez Dyson avant de flirter avec l'épouse. Le faux pasteur distribuant des tracts aux poursuivants policiers, pour être non-fonctionnel, n'en est pas moins loufoque. On se demande aussi pourquoi, au troisième plan du tableau neuf, Peace court face-caméra sur la voie, ce qui le ralentit et fait buter sur une traverse. Le comble, c'est que l'un de ses poursuivants suit le même incommode chemin, tandis qu'un plus futé a emprunté
la piste entre les deux voies. Autant de petites énigmes qui donnent du fil à retordre au naturalisme ! En bref, un film en avance de dix ans sur son temps : "l'un des premiers exemples au cinéma d'une forme complexe, une des toutes premières réussites (objectives) d'une esthétique spécifiquement filmique, ne serait-ce que parce qu'il met en jeu plus systématiquement que d'autres le principe du collage, et parce qu'il offre, involontairement sans doute, une certaine auto-réflexivité." (Noël Burch, La Lucarne de l'infini, L'Harmattan, 2007, pp. 190-191).  02/07/22 Retour titres