CINÉMATOGRAPHE 

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Eric CARAVACA
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Le Passager Fr. 2004 85' ; Sc., ad., dial., E. Caravaca et Arnaud Cathrine avec la collaboration de Laurent Perreau, d'après La Route de Midland de A. Cathrine ; Ph. Céline Bozon ; Son François Morel ; Mont. Simon Jacquet ; M. Grégoire Hetzel ; Pr. Diaphana Films, Arte France Cinéma, Canal+ ; Int. E. Caravaca (Thomas), Julie Depardieu (Jeanne), Nathalie Richard (Suzanne), Vincent Rottiers (Lucas), Maurice Garrel (Gilbert), Maurice Bénichou (Joseph), Rémi Martin (Richard). 

   Après avoir retrouvé à la morgue de Marseille le corps de son frère Richard suicidé, de longue date perdu de vue, Thomas délaisse femme et bébé pour aller à la rencontre du mort, muni d'un fourre-tout contenant, avec les affaires dudit, les indices du passé qui vont conduire sa quête : à Port-La-Nouvelle où les frères passèrent leur enfance, il prend incognito une chambre dans le petit hôtel tenu par Jeanne, la maîtresse du défunt abandonnée, qui vit avec son oncle Joseph et l'ado Lucas, recueilli orphelin à l'âge de trois ans. Thomas diffère l'inhumation, prenant le temps de s'attacher à Lucas et de nouer des liens presque intimes avec Jeanne, tout en se confiant secrètement à Gilbert, le vieux marchand de journaux ami de la famille. Une lettre trouvée dans les affaires de Richard est remise à Suzanne, sa destinatrice, chanteuse de cabaret avec laquelle les deux frères eurent dans l'adolescence une trouble et violente aventure.
   Mais l'identité de Thomas finit par éclater, en même temps que la nouvelle du décès, se tournant en colère contre Thomas, pour Lucas et Jeanne surtout qui continuait à espérer le retour de Richard. On se retrouve aux obsèques dans l'apaisement, y compris Jeanne par une brève apparition malgré son refus déclaré, puis Thomas repart vers son destin, tandis que Lucas ose enfin aborder la fille qu'il aimait en secret.

   C'est ici le caractère filmique de la substance qui fait l'émotion et donc la valeur du film, premier long métrage de l'auteur.
   À savoir qu'un ensemble de données éparses et indépendantes en apparence concourent au pointage d'un enjeu proprement poétique de ne s'accommoder de nulle représentation
ad hoc.
   Montage et cadrage, décor et accessoires, statut et attributs des personnages, sobriété et justesse du jeu des acteurs, tout cela y travaille.
   Montage suffisamment elliptique pour laisser libre cours au jeu qui, à la fois, oppose et rassemble les éléments relatifs aux divers matériaux en fonction d'un dessein débordant largement l'ordre narratif.
   Cadrage au service du monde émotionnel dans les gros plans sur le visage animé d'une flamme intérieure de Thomas (auquel convient mieux mutisme que parole), plus larges sur Lucas, dont le corps en mouvement ou le bruyant cyclomoteur complètent les intensités du clair regard. Plus distant avec Jeanne qui garde un impénétrable quant-à-soi, mystère tenant lieu de respect de la femme. Ce que l'on retrouve d'une autre façon dans le filmage de Suzanne, par le caractère inimitable des gestes, mimiques et inflexions de voix.
   Mais ce qui réunit à la fois tous les personnages et autres matériaux, c'est la solitude métaphysique, surnaturelle, d'êtres descendus aux enfers pour pouvoir recommencer à vivre après avoir rencontré l'âme de Richard, ce qu'on appelle travail de deuil. Gilbert au physique de spectre ; Jeanne impalpable et blafarde, qui vivait déjà dans l'attente d'un retour impossible comme anticipant la mort ; Lucas, survivant d'un accident où ses parents ont perdu la vie et que sa demi surdité place en retrait du monde, réduit à s'inventer une idylle - qui se concrétisera après les obsèques ; Suzanne, marginale aussi de par son métier de chanteuse de cabaret, dépourvue de vie familiale sans doute ; Joseph, mécanicien célibataire ou veuf sans garage, bricolant là un moteurs sur quelque épave ; Thomas enfin, muni de ce sac vaguement militaire de vagabond contenant les pauvres objets fraternels, issu d'une famille désunie et qui déserte le domicile conjugal, véritable "passager" des enfers.
   D'où ce décor vacant de zone portuaire, ces hangars aveugles, ces rues vides, cette maison familiale laissée à l'abandon, ce petit hôtel sans clientèle, seule trace d'humanité. On pardonne donc les effets étrangers au décor nécessaire comme les flash-back filtrés en monochrome sur Thomas jeune, ou la musique auxiliaire, d'autant plus que sobre et aussi adéquate que possible, celle-ci participe intelligemment du montage. Il est vrai que lenteur et silence essentiels au film étant indécents au cinéma dominant, la puissante norme ne peut que freiner l'audace inhérente à toute poésie. 6/06/08 
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