CINÉMATOGRAPH 

ÉCRITURE


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Teresa VILLAVERDE
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Os Mutantes Fr.-Port. VO 1998 113' ; R. T. Villaverde ; Ph. Alcácio De Alemida ; Son et mont.-son Vasco Pimentel ; Mont. Andrée Davanture ; Déc. Séreio Costa ; Pr. JBA production/Mutante film/La Sept cinéma/Pandora film/Arte ZDF ; Int. Ana Moreira (Andreia), Alexandre Pinto (Pedro), Nelson Varela (Ricardo).

   Trois adolescents fugueurs rejetés de tous et reclus en maison spécialisée vont à leur tragique destin. Andreia accouche seule dans des toilettes où elle abandonne le bébé, puis se laisse mourir dans la nature. Ricardo est battu à mort pour avoir volé. Sans avenir et sans espoir Pedro va vivre avec son petit frère qui travaille tout le jour.

   En montage alterné : les garçons d'une part, Andreia de l'autre. Ils ne se connaissent probablement pas mais leurs parcours se ressemblent et parfois coïncident. Ainsi ils ont un entretien avec leur directeur respectif après avoir réintégré simultanément leur "prison" à la suite d'une fugue. Les adultes spécialisés s'investissent du mieux qu'ils peuvent dans leur boulot. Mais entre les experts, même bien intentionnés, et ceux qui se cognent de tous côtés contre des murs, la communication est barrée. L'intention est louable : dénoncer les conditions faites aux "mutants" de la société en tentant de dévoiler les souffrances endurées.
   La réalisatrice (née en 1966) choisit un montage long sur plans fixes, manière sans doute de refuser les concessions. Mais les belles intentions poétiques entrent en conflit avec la volonté documentaire (le film le fut à l'origine). La remarquable prise de son de la rumeur d'un monde indifférent condamne davantage encore les mutants : Pedro hurlant en vain le nom de Ricardo mort ne reçoit en réponse que ces sons diffus et réverbérés dans un improbable espace nocturne. Le vent dans les cheveux en très gros-plan s'avère n'être que le souffle artificiel du sèche-cheveux dans la maison spécialisée de filles. La même figure revient dans la rêverie de liberté quasiment suicidaire au fond de la benne d'un camion, la tête renversée en arrière, en surplomb du macadam, (Andreia) où des rails (Pedro) défilant. Les yeux rougis de Pedro en très gros-plan accompagné de la musique syncopée du jeu électronique, illustrent avec une paradoxale compassion ironique le "mutant" tuant lamentablement le temps.
   Andreia se blesse la main à traverser une vitre en réclamant son "black". Cette main sanglante revient à son accouchement, le sang, hyperbolisé dans les pans de mur rouge du bâtiment, se traçant sur le carrelage comme celui du cadavre de Ricardo. L'expression de la souffrance en long gros-plan fixe du visage de la parturiente est trop "entomologique", reposant sur la vérité de la chose en soi : confusion entre la chose et sa représentation
(1). Même impression à propos des angles. Certes la plongée presque verticale sur les douches figure le cloisonnement cellulaire. Mais cela semble fabriqué dans un contexte assez parlant par lui-même. De même que le regard des fugitifs levé sur les jolies machines de foire représente un rêve bien pauvre face aux besoins réels. La même image reflétée dans une flaque d'eau et que dissipe symboliquement le remous provoqué par le pied d'un des garçons, aussi astucieuse soit-elle, n'est pas appropriée à cet univers filmique. Les gros plans des visages adolescents sont d'ailleurs trop volontairement documentaires, dépourvus de toute recherche d'éclairage et d'angle, sans émotion.
   Quelques clichés sont peut-être l'expression inconsciente du désir de plaire au public tout de même : l'angle oblique tournant au vertige l'évasion par la façade de l'immeuble. Le plan renversé de l'accouchement dans le cabinet d'aisance. Les graffitis chuchotés des pensionnaires défilant en même temps à l'image.
   Entre réalisme et poésie, Villaverde a trop hésité, négligeant ceci : qu'impossible dans la représentation de la réalité, la vérité est du côté de la poésie. 15/07/01 Retour titres