CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité





Michelangelo ANTONIONI
liste auteurs

La notte It.-Fr. VO N&B 1961 125' ; R. M. Antonioni ; Sc. M. Antonioni, Tonino Guerra, Ennio Flaiano ; Ph. Giani Di Venanzo ; Cadr. Pascalino De Santis ; Mont. Eraldo Da Roma ; Son Claudio Maielli ; Déc. Piero Zuffi ; M. Giorgio Gaslini ; Pr. Nepi Film, Sofitedip, Silver Film ; Int. Marcello Mastroianni (Giovanni Pontano), Jeanne Moreau (Lidia), Monica Vitti (Valentina Gherardini), Bernhard Wicki (Tommaso Garani), Vincenzo Corbella (Gherardini), Gitt Magrini  (son épouse).

   On suit un couple milanais à la dérive, l'écrivain Giovanni Pontano et son épouse Lidia. Après avoir rendu visite à Tommaso, leur ami mourant, à l'hôpital, où Giovanni est harponné par une patiente nymphomane, ils se rendent à un cocktail de l'éditeur en l'honneur de l'écrivain puis assistent dans une boîte de nuit à un spectacle érotique qui semble laisser froid l'époux et dolente l'épouse, pour terminer chez le milliardaire Gherardini. Réception dans la somptueuse villa la nuit durant, où Giovanni flirte avec Valentine Gherardini, la fille, et que Lidia esseulée, après avoir appris au téléphone la mort de Tommaso, fait sans conviction une petite escapade avec un séduisant invité. Au petit matin le couple se livre à un pitoyable bilan. L'homme a oublié qu'il avait jadis écrit le belle lettre d'amour qu'elle sort de son sac et
lui lit à haute voix. Elle déclare ne plus l'aimer. Il proteste l'aimer toujours et l'étreint après l'avoir plaquée au sol. Elle se refuse mollement : "dis-le (que tu ne m'aimes plus) - Non je ne le dirai pas". La caméra s'éloigne en pano-travelling jusqu'au plan général, les fait sortir du champ et se fixe sur l'horizon vide de l'aube.

    Au cœur du récit se tient Lidia, comme enjeu émotionnel cardinal qu'incarne un point de vue surplombant d'enquêteuse désenchantée, concrétisé par des tribulations dans une architecture ultra-moderne de béton étagée à galeries vitrées. La solitude de la femme est à la démesure de l'environnement envahissant et glacé, qu'accentue à l'envi, non seulement le cadrage angoissant par le jeu des disproportions, mais aussi l'ennui profond qui émane du dialogue général, des actions et de la musique de l'orchestre de jazz animant la réception Gherardini. Le succès littéraire même de Giovanni ne semble se solder qu'en désillusions. Sur les visages, de ce dernier surtout, ne se lisent, à travers un excès de sérieux, qu'amertume et mélancolie. La mort et l'érotisme vide sont l'expression exacte du désarroi de la femme, qui va de déception en déception, réalisant notamment qu'au sortir du bain sa nudité ne suscite aucun désir du mari.
   Ce n'est jamais par contagion cependant, en tentant d'en affecter le spectateur, qu'un film doit décrire le mal être mais, au contraire, en le stimulant par l'étonnement qui questionne, supposant un angle critique. Il y a, par contrecoup, approche critique d'un monde déshumanisé, mais constat morose de la déréliction qu'il génère. Davantage, l'ennui provient ici surtout d'un esthétisme en vogue, de ces cadrages sophistiqués par excès de profondeur et d'angle dans le goût Wellesien, de ces actions qui s'avèrent n'être qu'un reflet dans une vitre quand se dévoile la scène réelle, du lourd symbolisme de barreaux et de cages ou de cet échiquier géant du sol carrelé entre Valentine et Giovanni, de ce néoréalisme décadent enfin qui sévit déjà dans La dolce vita.
   
Assoiffé de modernisme on croit se désaltérer au formalisme. Ce qui, sanctionné par un Ours d'or à Berlin en 1961, a été salué à l'époque comme vision novatrice, résidait sans doute surtout dans la sensibilité du regard porté sur le monde intérieur féminin. En témoigne globalement l'œuvre du cinéaste. Outre que ce modernisme voyant dissimule de profondes qualités filmiques, comme le traitement du son. Dans la scène des fusées, par ex., la façon dont des sources sonores hétérogènes concourent au rythme (fusée/klaxon hors-champ/fusée/passage d'une moto hors champ/fusée/éclats de voix/klaxon/choc quelconque/paroles, etc.). De telles scènes en apparence gratuites constituent, du reste, des figures secrètes du drame, d'autant plus fortes que la valeur métaphorique en reste énigmatique. Cadré de l'extérieur à travers le pare-brise,
un rétroviseur de voiture s'interpose monstrueusement à l'avant-plan entre la caméra et le couple en crise. Des événements anodins, comme, dans un paysage urbain désolé, Lidia découvrant à ses pieds une vieille horloge électrique abandonnée, ou plus visibles : le pugilat des garçons au milieu d'un rassemblement silencieux, ont une intensité dramatique qui renvoie à l'invisible souffrance de l'héroïne. 25/06/14 
Retour titres