CINÉMATOGRAPHE 

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Maurice PIALAT
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A nos amours Fr. 1983 102' ; R. M. Pialat ; Sc., Dial. Arlette Langmann, M. Pialat ; Ph. Jacques Loiseleux ; M. Purcell ; Int. Sandrine Bonnaire (Suzanne), Dominique Besnehard (Robert), Maurice Pialat (le père), Evelyne Ker (la mère), Cyr Boitard (Luc), Pierre-Loup Rajot (Bernard), Cyril Collard (Jean-Pierre).

   Cadette d'une famille de pelletiers habitant un atelier parisien, Suzanne navigue d'homme en homme. Le chef de famille étant parti vivre sa vie, le grand frère mou fixé à la mère paumée et l'indocile héroïne ne font pas bon ménage. La névrose familiale ronge la communauté mutilée. Pour finir, Suzanne file à San Diego avec un amant après avoir plaqué le seul garçon que, platoniquement, elle aimait. Son pittoresque rebelle de père lui accorde sa bénédiction.

   Au-delà des drames de l'adolescence et de l'atypique portrait paternel, nous avons-là une peinture assez convenable d'une certaine jeunesse des milieux parisiens des années quatre-vingt, préfigurant les "films de groupes" des années quatre-vingt-dix. Le cas familial, malgré la stridente hystérie, ne manque pas d'intérêt. Quant au rôle de notre adolescente, taillé sur mesure pour la débutante douée, il tourne au numéro de virtuose de la spontanéité. Les plans longs servent une logique de l'observation qui en renforce le fétichisme.
   Car rien de plus faux que le naturel. Nul n'ignore que ce qui est censé en tenir lieu ne peut être, au cinéma, que joué… On se prend à qualifier d'art ce qui ne relève que d'un code : le naturalisme. Le spectateur se laisse fasciner par une "vérité" qui n'est que représentation
. La tonalité tragico-sensuelle de la musique de Purcell, ni même la figure initiale de la Provence surchauffée ne sauraient d'ailleurs suffire pour insuffler la moindre poésie à ce pseudo document psychosocial. C'est bien ici en effet l'image littérale qui l'emporte. Ne cherchez pas trop au-delà de ce que la pellicule vous donne à voir. Car la suggestion se limite à la métaphore séquentielle, fondée sur un motif préexistant au filmage. Outre le Midi pour le rut, nous avons le trajet en bus vers l'aéroport, scellant la complicité entre père et fille. Effet contingent, car transposable dans un autre langage.
   Seul le travail sur le fragment
est irremplaçable au cinéma : processus langagier reposant sur des lois indépendantes de la représentation. Voilà où mène le naturalisme : à prendre la représentation pour un effet spécifiquement filmique alors qu'elle est de l'ordre de l'idée, sinon de l'idéologie.
   Quant au sens profond auquel on aspire quand on ne se contente pas du pur exercice distractif, la complaisance pour le côté olympien du père (trop composé, narcissique), l'infantilisme de la fille (valorisé sur la fin), la grisaille du monde environnant, trahit une impuissance au surpassement visionnaire. Et le parti pris de témoignage véridique sur la torride et souffrante adolescence exclut toute distorsion suggérant, à défaut d'éthique
, au moins le doute salutaire. "Maîtrise de la caméra" et autres chansons n'y changent rien. Le savoir-faire technique n'a jamais déplacé les montagnes. Même si l'on craque pour la belle ouvrage qui donne bonne conscience à la haine régnante de l'audace artistique.
   Quelqu'un a dit que Pialat était l'héritier de Renoir. Sans doute, mais pas toujours. On ne peut lui en tenir rigueur, Renoir n'étant pas lui-même à tous les coups l'héritier de son propre génie. Comment, du reste, se dépêtrer d'un naturalisme français qui nous fait miroiter que les marchands de spectacle ne demandent qu'à tendre la main aux artistes ? 20/10/00.

   Rajouté en juillet 2008 : qu'on me pardonne ce mouvement d'humeur vieux de presque huit ans. Il relève d'une position militante en faveur de la poésie, dont la méconnaissance est un des signes de la vaste régression spirituelle qui se confirme si tragiquement pour l'humanité d'aujourd'hui. Car la pensée sensorielle à la base de la poésie et donc de l'art du cinéma n'a pas sa place dans ce monde du calcul, plus que jamais le nôtre. Trop libre pour la logique consumériste, trop indifférente aux impératifs de rentabilité, trop contraire aux intérêts des pouvoirs, ces opiums des dominés par ignorance et qui profitent aux dominants en toute connaissance de causes.
   La démarche de Pialat cependant, si elle n'est pas structurellement poétique, c'est-à-dire, si elle ne renonce pas à la représentation en faveur d'une
écriture, atteint au point d'incandescence de la représentation. La violence manifeste traduisant une violence latente encore plus forte au sein d'une famille telle qu'ici décrite n'a jamais atteint un tel degré de vérité. La scène où le père, après des mois d'absence, survient au milieu d'une réunion de famille et s'amuse à casser toutes les certitudes étalées en ce lieu, est bien propre à instiller le "doute salutaire". Car, conscient de ce que la représentation sera toujours en-dessous de la réalité, Pialat n'hésite pas à pousser au paroxysme.
   Celui-ci ne relève pas du jeu de comédien, mais de l'esprit du film insufflé aux acteurs par le réalisateur, en lien avec un profond souci de la complexité du vrai, supposant que le cadrage et le montage ne sont pas dédiés à la ligne d'action principale, mais à l'écoulement de flux multiples se croisant au sein d'un même plan ou s'échangeant au-delà du plan. Il ne faut donc surtout pas confondre Pialat avec le naturalisme français à prétention artistique, même s'il l'a peut-être inspiré, surtout avec son Van Gogh. Il n'en demeure pas moins que les pièges que Pialat ne parvient pas toujours à éviter sont celui d'un star-system à sa manière (non, Depardieu (Galerie des Bobines) n'aurait jamais dû revenir après
Loulou !), de certains clichés cinématographiques (la pluie baignant l'adolescente triste) et du pathos musical, fût-ce à doses infinitésimales, qui s'adresse directement au spectateur pour lui dicter son ressenti de l'image sonore (la musique de Purcell s'invitant sous la même pluie).
   Dans les trois cas, acteur, cliché et musique, on a affaire à du matériau extrinsèque, véritable addition étrangère ne pouvant qu'appauvrir ce qui se doit au matériau propre.
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