CINÉMATOGRAPHE 

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Buster KEATON/Donald CRISP
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La Croisière du Navigator (The Navigator) USA Muet N&B 1924 60' ; R. B. Keaton, D. Crisp ; Sc. Jean Havez, Joseph Mitchell, Clyde Bruckman ; Ph. Elgin Lessley, Byron Houck ; Déc. Fred Gabourie ; Pr. Joseph Schenck/MGM ; Int. Buster Keaton (Rollo Treadway), Kathryn McGuire (la jeune fille), Frederick Vroom (le père), Noble Johnson (le chef des Cannibales).

   Le millionnaire Rollo Treadway se retrouve par hasard en pleine mer sur un navire désaffecté, seul avec celle qui a décliné sa demande en mariage. Comme ils n'ont jamais rien fait de leurs mains ils se battent avec les ustensiles. Même le drapeau hissé pour appeler au secours un navire croisé est celui de la quarantaine. Au bout de quelques semaines, les objets sont apprivoisés au moyen de bricolages de bouts de ficelles. Le bateau s'échoue à quelques encablures d'une île cannibale.
   Pendant que Rollo répare en scaphandre une avarie de l'hélice, sa compagne est enlevée par les autochtones qui coupent le tuyau d'alimentation. Emergeant soudain le scaphandrier met en fuite les sauvages, qui reviennent plus tard à l'abordage. Le couple s'enfuit à la nage et tente de se dissimuler sous l'eau. Mais ils reparaissent soulevés par un sous-marin surgissant juste à temps pour les sauver. Par son courage, Rollo a gagné le cœur de la belle réfractaire.

   Le scénario cesse d'être original à partir du dernier épisode qui de plus s'appuie durant vingt-cinq interminables minutes sur une mythologie dépassée. En tout cas, l'idée du mariage est venue à Rollo de voir une noce de Noirs. Ce qui à l'époque était censé être d'un comique irrésistible. Pour le reste, la "idle class" et le navire fantôme sont une source de gags dont certains inoubliables, malgré la banalisation d'un enchaînement narratif linéaire.
   Pour faire la cour à celle qui habite en face, Rollo se déplace en voiture avec chauffeur. Mais, éconduit, il se remet de sa déconvenue par "une longue promenade" à pied, consistant à renvoyer sa voiture pour retraverser sur ses jambes dans l'autre sens. La situation sur le navire correspond au fantasme amoureux de l'île déserte, qui rend ici la chasteté plus intéressante d'être implicitement menacée. Elle est de plus le corollaire du thème de l'initiation qui sous-tend à la fois le substrat infantile propre au burlesque et la dramaturgie filmique.
   Mais à cause du montage sans originalité, reliant des plans presque toujours fixes, on assiste à une suite de tableaux isolés, sans le liant filmique, qui n'est pas seulement, en général, assuré par les raccords mais surtout par leur capacité à s'appuyer sur le hors-champ. Ce que confirme le sentiment que le meilleur du film est dans les jeux précognitifs d'apparition/disparition, ou de parallélisme des mouvements sur un même espace lorsque les deux passagers, toujours sur le point de se rencontrer, se manquent systématiquement.
   Cette platitude filmique pousse même à se demander si l'usage, en revanche intéressant, de la profondeur de champ dans les scènes où les personnages courent tout au long du pont ne vient pas d'une paresse des mouvements d'appareil. Paresse que l'on retrouve dans l'abus des plans d'ensemble, voire de grand ensemble pour saisir des actions exigeant toute la hauteur de la coque du navire, et qui non seulement isolent celle-ci du contexte diégétique et du hors-champ, mais également la délayent dans le contexte immédiat de l'image.
   Voyez le gag de la fille qui, en raison d'une fausse manœuvre du palan, hisse Rollo à bord en faisant le chemin symétrique et inverse par le contrepoids de son propre corps : on n'en perçoit qu'une toute petite action lointaine sur le fond d'un énorme bateau. Fallait-il que Keaton, dont c'était paraît-il le film préféré, fût certain de la qualité de ses gags pour à ce point en négliger la filmicité
(1) !
   Keaton a peut-être en soi plus de génie comique que Chaplin, mais ce dernier l'emporte haut la main comme réalisateur (mis à part
The Cameraman et The General). 21/11/02 Retour titres