CINÉMATOGRAPHE 

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Friedrich Wilhelm MURNAU
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La Marche dans la nuit (Der Gang in die Nacht) All. Muet N&B  1921 84' ; R. F.W. Murnau ; Sc. Carl Mayer, Harriet Bloch d'ap. son roman Der SiegerPh. Max Lutze ; Pr. Goron-Film ; Int. Olaf Fønss (Dr. Eigil Börne), Erna Morena (Hélène), Conrad Veidt (le peintre), Gudrun Bruun-Stefenssen (Lily).

   Délaissée par son fiancé le Docteur Eigil Börne, professeur et ophtalmologue réputé, toujours débordé de travail, Hélène réussit à l'entraîner au cabaret, où il s'ennuie. Il a été repéré depuis la scène et identifié par la danseuse Lily, qui simule un accident pour être par lui
secourue et ainsi de suite. Ils se marient, et s'installent sur une île où un peintre aveugle pleure après ses yeux. Le Dr l'opère avec succès. Dès la vue recouvrée l'artiste s'éprend de Lily, qui le lui rend, pendant qu'Eigil est à la ville, alerté par la lettre d'une amie d'Hélène la disant au plus mal. Le médecin abandonné n'a plus qu'à retourner à son cabinet de praticien.
   Malade, Hélène trouve un apaisement à lire le nom chéri dans les pages "célébrités" du journal. Elle vivra désormais de ces pauvres consolations colportées par la presse, caressant de la main les caractères d'imprimerie. Des années plus tard, le peintre fait une rechute. Lily se rend au cabinet réclamer une nouvelle intervention. Eigil accepte à condition qu'elle se tue d'abord, puis regrette aussitôt ses paroles mais trop tard : elle se suicide et le peintre dans une lettre refuse les soins. Le docteur met fin à ses jours, la lettre du peintre entre les mains.

    Ainsi le bonheur amoureux n'est que pour s'anéantir en mort violente ou en mélancolie. Et le bien attire le malheur : l'aveugle guéri s'éprend au premier regard de la femme de celui qui lui a rendu la vue. Ce drame repose sur un tel gâchis existentiel, qu'on ne peut le tenir que pour allégorie des démons intérieurs. Ce à quoi incite un expressionnisme d'acteur orienté sur le fantastique comme violence métaphysique, préfigurant nettement Nosferatu, et qui tranche sur le rassurant Kammerspiel des décors intérieurs. L'aveugle issu tout droit (Conrad Veigt), de Caligari (1920) paraît debout sur une barque comme venant du royaume de la mort. Il inspire de la frayeur à Lily mais de l'amour
une fois voyant. De même que la figure expressionniste usuelle de l'inquiétant docteur se trouve ici transformée en notable intègre auquel la souffrance imprime des expressions terribles. Ici encore la façade est dissociée de son ombre démonique, qui devient en soi un thème.
   Faut-il s'accommoder de cette facture disparate, de ces lugubres cris silencieux imposant force doigts crispés, regards vides ou exorbités, gestes hystériques, morbides
alanguissements ? On peut à bon droit y préférer le montage parallèle de la mer démontée et de la nature battue des vents. Et le montage alterné : Lily avec le peintre/Eigil/Hélène, en dit beaucoup plus par la tension pelliculaire que toute volonté ostensible d'impressionner directement le spectateur. Filmicité plutôt qu'esthétique de l'instantané. Quelle force ironique dans ce geste de Lily tendant un sucre au professeur, oui, mais en amorce ! Et quelle meilleure façon de rendre l'extrême souffrance de la rupture qu'en reconfigurant une pendaison par coïncidence optique entre la posture d'Hélène et un objet d'arrière-plan assimilable à une corde tendue ?
   Les rapports d'images devraient toujours se soumettre les images mêmes, et non celles-ci s'efforcer vainement de concentrer le sens. Arrivé à pas de loup dans son dos en long panoramique, Eigil plaquant ses mains sur les yeux de Lily dans l'attente à la fenêtre du passage de l'aveugle, est une image forte où la scène heureuse contient une métonymie de son malheur : l'aveuglement, au propre et au figuré.  
   Et pourtant il est des images fortes par elles-mêmes, elles concernent les apories : l'aveugle devant son chevalet. Ou le viol des tabous : l'érotisme, ce qui est toujours à la limite. Tels la pâmoison au seul baise-main, ou le nez du peintre fourré dans la jupe d'Hélène à l'endroit du sexe, comme un aveugle recherchant  à l'odorat
le salvateur chemin... 17/02/18 Retour titres