CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

sommaire contact auteur titre année nationalité



Alexandre SOKOUROV
liste auteurs

Mère et Fils (Mat i syn) All. Rus. 1997 68’ ; R. A. Sokourov ; Sc. Yuri Arabov ; Ph. Alexeï Fyodovrov ; Mont. Leda Semyonova ; M. Mikhail Glinka, Otmar Nussio, Guiseppe Verdi ; Int. Gudrun Geyer (la mère), Alexeï Ananishnov (le fils).

   Dans une maison perdue en un vaste lieu sans âme qui vive, le fils s’occupe avec tendresse de la mère mourante. Sur sa demande il la transporte dans ses bras parmi les chemins, puis la couche avant d'entreprendre une longue promenade solitaire. À son retour elle n'est plus.
Il lui donne rendez-vous dans l'au-delà. 

   Le propos est de donner corps à l'impalpable : les tourments de l'amour mère-fils face à la mort. Donner consistance filmique par conséquent aussi bien à l'amour tendre de la filiation qu'à ses troubles dans l'épreuve suprême. Mais la quête de vérité d'une telle situation-limite conduit au-delà, dans l'appréhension simultanée de l'irreprésentable, relatif à la mort d'une part, à la rencontre de deux âmes l'une de l'autre assoiffées et sur le point de se quitter d'autre part. Monde de l'encore-vie dans la déjà-mort et réciproquement, au prix de franchissements catégoriels inaccessibles à l'articulation discursive et dont la teneur tragique tient à l'intense enjeu affectif.
   Solutions : la distorsion de l'espace optique et sonore permettant de conjoindre deux mondes inconciliables, l'au-delà
et l'ici-bas, ce dernier consistant dans les gestes et paroles extériorant les affects dans l'intimité du foyer à l'intérieur (on entend le feu pétiller), au sein d'une nature printanière à l'extérieur. Ou bien la métaphore, qui fait d'un lit et d'une maison un tombeau (lit en forme de tombeau de pierre, maison à portique monumental et à fenêtres aveugles de caveau), et d'une nature panthéistique (le corps de la mère s'intègre dans les veines de l'arbre centenaire, les événements naturels sont en correspondance avec les états d'âme), un enfer visuel et sonore.
   Pour ce faire, le matériau de base n'est pas puisé dans la réalité mais dans la peinture et dans la musique, parfois dans le cinéma de Tarkovski. La distorsion optique obtenue au moyen de lentilles déformantes s'inspire des travaux sur l'anamorphose des peintres de la Renaissance auxquels sont empruntées les teintes caractéristiques, moyennant quelque filtre coloré. La composition insolite des paysages se réfère à ces décors tenant leur étrangeté de l'agencement pictural y prévalant sur la référence réaliste. Les citations ou réminiscences de Tarkovski, relatives surtout au Miroir, se justifient mal cependant (le vent dans les graminées, un champ pourvu en son centre d'un arbre buissonnant, des hurlements de locomotive à vapeur : hommage, citation ou réminiscence ?)
   Il s'agit donc de représentation de représentation et non de l'émancipation langagière d'une écriture comme le voudraient des commentateurs bien intentionnés. C'est cohérent avec le fait que Sokourov confesse dans l'interview ne pas reconnaître la peinture moderne. Il lui faut en effet du matériau réutilisable, c'est-à-dire qui représente clairement a priori quelque chose ; davantage : des valeurs muséales à instrumentaliser.
   De la beauté
par conséquent mais devant très peu aux propriétés de la pellicule, nonobstant le remarquable travail effectué, tant visuel que sonore. Cette véritable mise en scène d'un monde spirituel par des signes ad hoc bien identifiables est ce qui verrouille une donnée essentielle du 7e art : le jeu. La même chose pourrait se faire plus filmique, en incitant le lecteur à lire l'image au-delà d'elle-même, comme relation dans un jeu de configurations transnarratives : signifiant dynamique et non signifié ultime, "transcendantal". Car tout se ramène ici, finalement, au tombeau, écrasant la vitalité d'un dépassement dont l'intention s'affiche vainement.
   Reste une sensation de délectation esthétique au fond d'un épouvantable cauchemar éveillé. 30/12/08
Retour titres