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Woody ALLEN
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Match Point GB-US VO Technicolor 2005 124' ; R., Sc. W. Allen ; Ph. Remi Adefarasin ; Mont. Alisa Lepselter ; M. Bizet, Donizetti, Gomez, Verdi, etc. avec la voix de Caruso ; Pr. Letty Aronson, Lucy Darwin, Stephen Tenenbaum, Gareth Wiley, Jimmy de Brabant ; Int. Jonathan Rhys Meyer (Chris Wilton), Scarlett Johannsson (Nola Rice), Emily Mortimer (Chloe Hewett Wilton), Matthew Goode (Tom, son frère), Penelope Wilton (Eleanor Hewett, sa mère), Brian Cox (Alex Hewett, son père).  

   Jeune et brillant professeur de tennis, Christopher Wiltons se fait engager dans un club londonien huppé. Il s'introduit dans la upper class par le biais de son élève Tom Hewett dont il épousera la sœur Chloé tout en étant l'amant passionné de sa fiancée Nola, après avoir été propulsé dans les hautes affaires par Alex Hewett, le père. Lâchée par Tom qui en épouse une autre, puis enceinte de Chris, Nola est prête à tout divulguer pour récupérer le géniteur, qui temporise. À l'aide d'un fusil de chasse subtilisé dans l'armurerie du beau-père, démonté pour se loger dans un sac de tennis puis, après usage, remis discrètement en place, il résout le problème par le truchement d'un typique cambriolage de toxicomane simulé, mais avec le meurtre réel, de la vénérable voisine de Nola, laquelle arrivée "au mauvais moment" à l'étage, en réalité heure du rendez-vous fixé par son amant, est également abattue sous apparence de bavure.
   Le crime eût été parfait si Nola n'eût confié son idylle à un journal intime. L'inspecteur chargé de l'enquête découvre le pot-aux-roses. Mais, deus ex machina : un crime identique est perpétré dans le quartier. On a retrouvé sur le meurtrier la bague de la vieille voisine, interceptée par le parapet de la Tamise lorsque Chris avait voulu s'en débarrasser avec les bijoux volés censés monnayer la drogue. Chloé donne enfin naissance à un enfant après de nombreuses tentatives infructueuses. Les grands-parents sont aux anges. Ils adorent leur gendre.

   Le film cite avec bonheur des situations, des images et des sons de L'Inconnu du Nord-Express de Hitchcock (ex. l'immeuble où vit Nola au début est la réplique de celui de Guy, le héros de L'Inconnu, un champion de tennis), dont il distille le même malaise. Sa trajectoire étant malicieusement filmée au ralenti, la bague a rebondi sur un parapet de la Tamise, qui ressemble à un filet.
   Ce fatal hasard qui par un autre, de signe inverse, rebrousse chemin in extremis répond à la philosophie très hitchcokienne ainsi énoncée, à propos d'une balle sur le filet, "tout dépend si elle passe ou pas". Ainsi suspendu au bout d'un fil qui peut se rompre à tout moment, Chris balance-t-il entre le côté de la passion érotique donc du divorce et celui du meurtre nécessaire au confort amoureux.
   Le coup de génie narratif c'est d'avoir à partir de Jonathan Rhys Meyer façonné un protagoniste dont les intentions prises se dissolvent dans la transparence absolue d'un regard bleu. On se doute bien que c'est l'arriviste qui prémédite toutes ces actions. Que, certain de ne rien risquer de ses deniers, il tient à payer sa place d'opéra pour ne pas paraître intéressé. Que, dans le même goût, il fait la fine bouche quand on lui propose un mirifique coup de piston. Qu'il lit Dostoïevski ou Strinberg, ou est amateur d'opéra pour complaire à la culture des riches. Qu'au restaurant où Chloé et Tom commandent du caviar et des pommes aux truffes il se contente d'un modeste poulet rôti. Qu'ayant dit avoir conduit une Aston-Martin il s'empresse d'ajouter que c'était comme laveur de voiture. Mais rien ne vient le confirmer sinon cet excès d'angélisme, bien qu'à y regarder de près d'imperceptibles indices émergent, comme le fait de porter un moment la même chemise que son future beau-père.
   Grisé lui-même par ce monde d'un luxe fabuleux, encouragé par l'irréalité, pourtant ironique, de la voix lointaine et surannée de Caruso, aussi bien que troublé par les situations érotiques, le spectateur est pris dans le pieux mensonge déniant la tentation de la promotion sociale fulgurante au prix de manœuvres douteuses. On a même tendance à dissocier la certitude avérée du meurtre minutieusement prémédité avec la possible duplicité du personnage. Nectar relevé d'une dose infinitésimale et homéopathique de poison, la fin immorale est l'énergie même du fantasme.
   L'humour d'Allen sans Allen est d'autant plus subtil qu'il est invisible. La caricature de l'épouse en mal d'enfant subordonnant l'acte sexuel à la médicalité jusqu'à se planter le thermomètre (dans la bouche) pendant le petit déjeuner, face au mari. L'ironie du parallèle avec la fécondité de la maîtresse culmine lorsque Chloé déclare à son époux "le médecin a dit que tu pouvais mettre une femme enceinte". Ou encore la citation de Sophocle en réplique au fantôme de Nora reprochant à son amant d'avoir aussi privé de vie leur enfant : "Ne jamais naître peut être la plus grande aubaine".
   Mais le film ne s'en tient pas à des faits de scénario. La qualité des décors, l'exceptionnelle direction d'acteur grâce à laquelle la parole loin d'être récitée est une manifestation du corps parmi d'autres, la lenteur investigatrice de la caméra associée aux plans très serrés et à la musique démodée chevauchant allègrement les plans, ainsi que le montage elliptique ou piquant (au cours de commerce auquel Chris assiste sur les gradins d'un amphi succède une plongée sur une scène d'opéra) ne sont que pour le jeu parodique du film noir dont les vertus propres n'en sont pas pour autant hypothéquées.
   Chef-d'œuvre du divertissement. 22/02/2012 
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