CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité


Íciar BOLLAÍN
liste auteurs

Les Repentis Esp. (Maixabel) 2019 115' ; R. Í. Bollaín ; Sc. Í. Bollaín et Isa Campo ; Ph. Javier Aguirre ; Mont. Nacho Ruiz Capillas ; Son Alazne Amestoy ; M. Alberto Iglesias ; Pr. Kowalski Films ; Int. Blanco Portillo (Maixabel Lasa), Luis Tosar (Ibon Etxezarreta), María Cerezuela (Maria Lasa), Urko Olazábal (Luis Carrasco) Tamara Canoza (Esther Pascual), Bruno Sevilla (Luichi).

    D’après une histoire vraie, la demande en 2011 de pardon à Maixabel Lasa, de deux membres de l’ETA ayant assassiné en 2000 son époux Juan Marí Jáuregui, membre du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et ancien gouverneur civil de la province basque de Guipzcúoades. C'est au bout de dix années de prison, après Luis, son ancien complice de l'ETA assisté de la médiatrice Esther, qu'Ibon envisage d'accomplir ce geste résilient encouragé par l'institution. Mais l'administration pénitentiaire décide de mettre fin à l'opération.
   La rencontre a lieu tout de même chez Esther à la faveur d'une permission de sortie (en réalité en 2014). De fortes paroles sont échangées, telles que : "- Je préfère être la veuve de Juan Marí Jáuregui. - Je préférerais être Juan Marí que son assassin". Après la décision de l'ETA de mettre fin à l'action armée, Ibon Etxezarreta pourra en toute sécurité, guidé par Maixabel, se rendre dans un décor montagneux à couper le souffle déposer un bouquet d'œillets ("dix rouges pour le passé, un blanc à partir de maintenant") au pied de la stèle commémorative de sa victime avant de joindre sa voix à celles du chœur des militants venus rendre hommage à leur camarade disparu.


      Le pardon relève déjà de la beauté spirituelle en tant que dépassement des basses passions : la vengeance, le fanatisme, la toute-puissance, impliquant la négation de l'autre. Demander pardon, c'est se reconnaître tributaire et donc intégrer la dimension d'altérité qui en retour nous inscrit comme autrui des autres dans la communauté humaine. Pardonner c'est, à dé-essentialiser le monstre en l'autre, en reconnaître un possible endormi en chacun. Maixabel n'ira pas jusque-là, mais ressentira l'effet "restauratif" du dialogue avec les repentis. La force de l'intrigue est dans le caractère limite de ces situations contraires à la doxa, et qui font ici avancer le travail du deuil. Comme mode exemplaire d'apaisement des tensions elles ont un fort impact sur notre sensibilité. Ce qui explique le consensus sur le caractère bouleversant du film.
   Qu'on me permette pourtant de ne pas faire chorus. Thématique poignante n'est pas art. Certes, les scénaristes ont su éluder le pardon lui-même, tout en le tenant fermement en lisière. C'était, dans le très bon dialogue de la confrontation victime/repentis, faire le choix de l'humanisme contre le pathos de la sainteté. On ne peut non plus nier la réussite de certaines directions d'acteur, à tout le moins concernant Blanco Portillo, dans un décor naturel conditionnant sa crédibilité. Mais le dialogue, comme la vérité du jeu actoriel et comme le décor, trois données préfilmiques, ne nous disent rien de la filmicité. On est en droit d'attendre que celle-ci soit le résultat de la transmutation du matériau aux conditions de la pellicule. À savoir, que l'artifice de la mise en récit au moyen d'un cadre impliquant la lumière, et du montage (image et/ou son), entraîne nécessairement une mise en jeu du scénario.
   Or ce qui ressort d'un examen dans la mesure du possible dépassionné, c'est un scénario intouchable. Cela implique surtout une fixation à la "vérité" des faits qui est une entrave à la liberté d'écriture, dans la méconnaissance de l'incommensurabilité du langage et de la réalité. Laquelle requiert le forçage de la condition sémantique.
   De la nécessité du dialogue de la rencontre résulte un filmage s'efforçant de varier la monotonie du champ/contrechamp par des variations gratuites, comme le changement d'angle en retour de champ ou de contrechamp. Ailleurs, le dialogue est inflationnel. Récit non pas filmique mais filmé, sauf parfois de reposer sur le montage : à la quiétude des fugitifs trinquant autour d'une table dans une planque succède immédiatement les mêmes dans la cage de verre du procès.
   Les procédés de dramatisation de l'image cependant restent signalétiques. Voyez ce téléphone rouge comme le sang que d'abord Maixabel se séchant les cheveux à la salle de bain n'entend pas, puis dont la sonnerie seule suffit à transmettre la nouvelle qui bouleversera sa vie. Il mène à la voiture rouge de la tante venue annoncer à sa nièce la mort de son père, et jusqu'aux œillets rouges de la fin marqués comme appartenant au passé. Mais la couleur symbolique s'est entretemps dissoute dans le lino rouge des couloirs de l'hôpital, les tentes rouges du camp de Maria, les murs rouges de la prison et j'en passe.
   La surenchère ne nous est donc pas épargnée. Négation de la différance, elle tente de réserver le maximum d'expression à la scène au lieu de donner force à la temporisation. Ceci au moyen : 1) De la scène de genre telle la séquence de l'attentat assorti de cavale, où n'est pas oublié l'épisode (authentique) de l'explosion de la voiture, avec cette série de panoramiques balayant le champ sur les lieux investis par les secours pour faire reportage. Agitation qui, s'ajoutant aux angles gratuits, entraîne une déperdition de force filmique. 2) Du commentaire musical surplombant. Fallait-il vraiment plaquer du tragique musical sur celui du téléphone fatal ou cet autre d'hôpital faisant suite à l'attentat et tout à l'avenant ? 3) De l'expression théâtrale des sentiments. Comme chez Maria passant soudain, sans qu'un mot de la messagère venue annoncer l'attentat soit prononcé, de la gaieté aux rugissements de désespoir assortis de grimaces de souffrance. 4) De l'emphase photographique. Par exemple, aux obsèques, visage de Maixabel se reflétant dans la vitre du cercueil à côté de la tête du mort. 5) Du cliché rhétorique, celui reposant sur la mise en valeur du malheur par contraste avec son contraire. Ainsi le plan du transfert à l'hôpital suivi immédiatement de celui du joyeux petit groupe de filles à la plage entourant Maria le jour de son anniversaire. À moins de verser dans le grand pathos : sublimée par le décor, la dernière séquence joue de la complaisance au mythe de grande fraternité universelle, non sans ramener Ibon à la figure du gros toutou un peu pataud, aux prunelles embuées sous l'épaisse broussaille des sourcils (ce à quoi j'avoue m'être d'abord laissé prendre). Ne serait-il pas, même, pressenti adopté par la famille meurtrie, comme mascotte en guise de substitut paternel, à en croire, par plans interposés, ces coups d'œil sensibles échangés en champ/contrechamp avec la fille de sa victime ?
   En bref, sous facture plutôt dissipée, reste un témoignage prégnant. Ce n'est point par malin plaisir mais pour la cause du cinéma que s'est imposée la nécessité d'une démystification. 18/01/24
Retour titres Sommaire